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Le port de DOURDUFF baie de MORLAIX
(15 Jeunes Français quittent)


Chemin de la Résistance et des Maquis
Mis en ligne sur le site le 11 février 2025


Source des documents suivants : https://www.france-libre.net/

Une tentative d’évasion aux conséquences tragiques

Le dimanche 15 décembre 1940, quinze jeunes Français, âgés de 16 à 22 ans, quittent le port de Dourduff à bord d’une grosse barque appelée la Véga pour rejoindre l’Angleterre et la France libre.

Originaire de Ploujean, près de Morlaix, où il est né le 23 mars 1918, Roger Le Corre a pris part à la bataille de France. Rescapé du Jaguar, une vedette rapide torpillée le 23 mai 1940 devant Dunkerque, il combat à Gravelines, avant d’être évacué, parmi les derniers, vers Douvres. Rentré en France par Plymouth, il obtient une permission exceptionnelle de quinze jours avant de partir pour le front sur la Seine. Toutefois, c’est bientôt la débâcle de l’armée française et l’arrivée des forces allemandes ; Roger Le Corre tente de partir, à Brest, à Dourduff, au Diben, en vain. En septembre, faute d’avoir pu partir, il rejoint la Direction du Port de Brest, afin d’assurer sa subsistance.

Là, il rencontre Jean Féat, né à Plougasnou le 15 mai 1922, Marcel Querrec, élève pilote de marine originaire de Guimaëc né le 17 septembre 1922, Francis Hervé né le 29 novembre 1920 à Plouégat-Guerrand, Louis Quéquiner, monteur mécanicien de Brest né le 12 mai 1923 à Morlaix, et Fernand Guillard, Parisien de vingt ans (né le 20 juillet 1920) dont la tante demeure à Morlaix. Au hasard des rencontres, ce groupe s’élargit à de nouvelles personnes, en dehors de l’arsenal :

• Roger Goasguen, pêcheur de 19 ans, né le 21 septembre 1921 à Plouézoc’h ;
• Jean Guillard, mécanicien à Morlaix de 19 ans, né le 6 février 1921 à Plourin-Morlaix ; • Prosper Lelourec, né le 5 octobre 1921 à Tonquédec ;
• François Scornet, prisonnier de guerre de 21 ans libéré par les Allemands, né le 1er mai 1919 à Ploujean ;
• Pierre Le Bris, livreur dans une brasserie morlaisienne de 20 ans né le 10 novembre 1920 à Plougonven ;
• Jean Le Lay, le fils du boulanger de Plourin-lès-Morlaix, né le 25 juillet 1921 à Morlaix ;
• Pierre Troadec, né le 10 octobre 1923 au Havre ;
• Yves Le Jeune, né le 23 mars 1919 à Plouézoc’h ;
• Jacques Poisson, cuisinier de seize ans né le 22 juillet 1924 à Plouézoc’h ;
• Jean Goasguen, fils d’un agent technique de l’arsenal de Brest qui a manqué par deux fois le passage en Espagne, né le 24 juin 1921 à Plouézoc’h.

Les seize jeunes gens (tous nés entre 1918 et 1924) sont décidés à saisir la première occasion pour traverser la Manche.

Une vedette des Ponts-et-Chaussées amarrée dans le bassin de Morlaix, baptisée La Morgane, suscite tout d’abord leur intérêt, mais c’est sans compter l’écluse, qui s’oppose à la nécessaire discrétion de l’opération. De même, le canot de sauvetage du Havre, placé au Dourduff, un temps lui aussi envisagé, est pris par les Allemands.

Finalement, leur choix se porte sur une pinasse nommée la Véga, propriété d’un marchand d’huîtres, Alain Salaün, que Jean Guillard vient de remettre en état ; elle est équipée d’une hélice relevable et d’un moteur de voiture B2 Citroën. Ils décident de s’en emparer pendant la nuit, avec l’idée d’en rembourser le prix plus tard. Dans la nuit du 15, une partie du groupe, divisée en deux bandes, se rend par des chemins différents de Morlaix à Kérarmel, un hameau de trois maisons éparses sur La Palud.

Pendant ce temps, Goasguen, Le Corre, Troadec, Guillard et Scornet récupèrent des fûts d’essence, qu’ils portent sur la Véga. Puis Goasguen va récupérer une boussole sur le bateau de son père, amarré non loin, tandis que Le Lay apporte six pains de la boulangerie paternelle.

Les amarres larguées, le groupe laisse dériver la pinasse au fil du courant, avant de démarrer le moteur, et se dirige vers Kérarmel, où les attendent leurs camarades.

Puis la pinasse suit le chenal, entre la pointe de Barnenez et le château du Taureau, sans être aperçue des postes de garde allemands, avant de prendre la direction de Plymouth.

Toutefois, vers minuit, la boussole, qui était en équilibre instable, tombe sur l’arbre de couche, à fond de cale, et se brise. Plus tard, le moteur se met à hoqueter. Croyant qu’il s’agit des bougies, Jean Guillard les change, avant de se rendre compte que c’est l’embrayage qui patine. En vain il tente de le régler. Pour comble de malheur, alors qu’ils tentent, faute de mieux, de tenir le cap à l’estime, de gros nuages leur cachant les étoiles, la brise, qui soufflait au sud à leur départ, remonte progressivement vers l’ouest et vire en violente tempête. Enfin, à quatre heures du matin, le transvasement de l’essence dans le réservoir, situé à l’avant, est particulièrement compliqué par le roulis.

Vers midi, l’équipage voit apparaître une côte qu’ils croient être celle de l’Angleterre. François Scornet déploie un drapeau tricolore frappé d’une croix de Lorraine, tandis que Goasguen, à la barre, dirige la pinasse vers une anse.

Toutefois, au moment d’aborder la crique, ils aperçoivent des Allemands. Ils sont sur l’île de Guernesey.

Aussitôt, ils amènent le pavillon et jettent par-dessus bord les deux pistolets qu’ils avaient embarqués avec eux. Tenus en joue par les soldats allemands, les seize jeunes doivent sauter de la pinasse. Aussitôt arrêtés, ils sont internés à Guernesey.

Le 6 janvier 1941, les seize inculpés sont conduits sous escorte à Jersey, où est installé le quartier-général du Commandement allemand. Traduits devant la cour martiale de la Feldkommandantur 515, qui siège dans la salle du vieux comité, States Building, sur la place de St. Hélier, ils sont accusés d’« aide à l’ennemi » et de « crime concerté de trahison envers la Patrie ». Leur défense est assurée par le capitaine Pillling, un avocat de Constance.

Quatre condamnations à mort n’en sont pas moins prononcées, à l’encontre de Scornec, Le Corre, Goasguen et Lelourec. De son côté, Guillard est condamné à la maison de force à perpétuité ; les autres, entre cinq et quinze ans.

Le 16 mars, à midi, François Scornet et Roger Le Corre, qui sont détenus dans la même cellule du Grand Hotel depuis trente-neuf jours, sont séparés.

Le lendemain, à l’aube, Roger Le Corre est extirpé de son cachot et introduit dans une pièce où un prêtre catholique de l’église St. Thomas de Jersey, le père Maré, lui donne les derniers sacrements. Brusquement, un officier fait son entrée et injurie le prisonnier, avant de le renvoyer brutalement dans sa cellule.

Abasourdi, Roger Le Corre aperçoit François Scornet, qui reçoit à son tour les derniers sacrements du père Maré. Puis il écrit une dernière lettre à ses parents, dans laquelle il affirme : « Je crois que j’arrive à la fin de ma vie, je vais mourir pour la France, en affrontant l’ennemi avec courage. Dans une heure tout sera fini... Soyez rassurés, je vais mourir en bon chrétien, je vous embrasse pour la dernière fois. »

D’après le témoignage du père Maré, Scornet est ensuite placé dans un camion avec les douze soldats allemands qui doivent former le peloton d’exécution et un cercueil, et conduit au Manoir de Saint Ouen. Là, il est attaché à un tronc d’arbre. Après avoir embrassé le crucifix du prêtre, il meurt fusillé à 8 h 20, en criant : « Vive Dieu ! Vive la France ! »

Un autre témoin, Nelson Clement Le Quesne, employé des pompes funèbres locales, a écrit, pour sa part : « Le 17 mars 1941, M. J. B. Le Quesne a été appelé au Manoir de Saint Ouen. M. J. Clarke et moi- même, Nelson Le Quesne, pour aller chercher la dépouille mortelle de François Scornet exécuté au Manoir de St. Ouen. Nous sommes arrivés à 17 h 00, il était encore attaché à un arbre, il avait été exécuté vers 10 h 00 du matin. Je l’ai détaché et placé dans le cercueil que j’avais fabriqué moi-même à l’atelier. »

Le même matin, Maître Pilling apprend aux quinze survivants que la peine des trois autres condamnés à mort a été commuée en une condamnation à quinze ans de forteresse, celle de Jacques Poisson, Pierre Le Bris, Pierre Troadec et Jean Le Lay à dix ans de prison ; celle de Marcel Querrec, Jean Féat, Francis Hervé et Jean Guillard, à huit ans ; celle d’Yves Le Jeune, à six ans ; enfin, celle de Louis Quéguinier et Jean Goasguen, à cinq ans.

Au début de mars 1941, les prisonniers sont transférés à la prison de Caen, puis à celle du Cherche-Midi, à Paris. Le 4 septembre suivant, quatorze d’entre eux sont déportés en Allemagne, en wagon cellulaire. Cinq d’entre eux – Jean Guillard, Jean Goasguen, Yves Le Jeune, Jacques Poisson et Louis Quéguinier – sont élargis en avril 1943 à la suite d’une grâce décidée par Hitler le jour de son anniversaire, deux autres en mai 1944 : Roger Goasguen et Marcel Querrec. Trois décèdent durant leur détention : Jean Féat le 26 décembre 1943 à Siegburg, Pierre Troadec le 26 janvier 1943 à l’hôpital de Mannheim et Pierre Le Bris le 17 mai 1945. De son côté, Roger Le Corre s’évade lors de l’évacuation de son camp le 23 avril 1945. Les quatre derniers – Fernand Guillard, Francis Hervé, Jean Le Lay et Prosper Lelourec – sont libérés durant le mois d’avril 1945.
Quatre ans après son exécution et deux mois après la libération de l’île, le 24 août 1945, les restes de François Scornet sont exhumés au cimetière d’Almorah de St. Helier et conduits dans une chapelle privée, où ils sont conservés drapés des trois couleurs de la France.

Puis, le matin du 18 septembre 1945, le cercueil, qui était recouvert d’une couche de plomb, est conduit dans l’église catholique romaine St. Thomas à St. Helier, où le père Maré prononce un requiem en son honneur. Au terme de cette cérémonie religieuse, un cortège se forme au sortir de l’église, et le cercueil, drapé des couleurs de la France et accompagné du baillif de Jersey, du consul intérimaire de France, des sapeurs pompiers, des ambulanciers de St. Johns et des représentants d’autres corporations de l’île, est emmené au port de St Helier. Là, il est placé sur le yacht Cailou, qui doit le conduire en Bretagne. À Morlaix, où sa famille l’attend, il est inhumé avec tous les honneurs militaires dans le cimetière de Ploujean, sa commune natale.

Sylvain Cornil-Frerrot

Sources
René Pichavant, Clandestins de l’Iroise, tome 2 : 1942-1943, Douarnenez, Édi- tions Morgane, 1987.
Fondation pour la mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des dépor- tés de France arrêtés par mesure de répression et dans certains cas par mesure de persécution 1940-1945, tome 1, Éditions Tirésias, 2004.