GERBOHAY Marcel et BAVAUD Maurice
Chemin de la Résistance et des Maquis
Mis en ligne sur le site le 17 avril 2020 / mise à jour 8 juillet 2024
https://www.ouest-france.fr/bretagne/saint-brieuc-22000/un-seminariste-de-saint-ilan-voulut-assassiner-hitler-771131
https://actu.fr/bretagne/langueux_22106/un-ancien-de-saint-ilan-a-voulu-tuer-hitler_6898528.html
Marcel Gerbohay, ce séminariste breton qui voulut tuer Hitler
Natif de Pacé (Ille-et-Vilaine), Marcel Gerbohay a rencontré le Suisse Maurice Bavaud sur les bancs du séminaire de Saint-Ilan, où ils ont fomenté un attentat contre Adolf Hitler. Le projet, encore émaillé de zones d’ombre, leur a coûté la vie à deux ans d’intervalle.
Ouest-France Baptiste LANGLOIS. 30/ mars /2021
Il est des hommes dont le parcours n’est identifiable, des décennies plus tard, qu’au regard d’un autre, davantage documenté et étudié. Par exemple celui de Marcel Gerbohay, tête pensante d’un singulier projet : un attentat contre Adolf Hitler avant même le début de la Seconde Guerre mondiale. Et celui qui permet de suivre sa piste se nomme Maurice Bavaud, l’homme d’action, l’exécutant.
Le premier est né le 3 mai 1917 à Pacé (Ille-et-Vilaine), commune située à une dizaine de kilomètres de Rennes. Il a grandi dans une dépendance du château de la Touche-Millon, entre son père Marcel, cultivateur, et sa mère Angèle, ménagère. Le second est né le 15 janvier 1916 à Neuchâtel (Suisse), non loin de la frontière française. Le destin des deux hommes va s’unir sur les bancs du séminaire de Saint-Ilan, à Langueux (Côtes-d’Armor).
Marcel Gerbohay, à côté du fanion de la section de la Croisade Eucharistique de Saint Ilan dont il faisait partie.
AMICALE DES ANCIENS DE SAINT-ILAN
Somnambulisme et cauchemars
Entré une année plus tôt dans cet établissement des vocations tardives, placé sous l’égide de la congrégation du Saint-Esprit, Marcel Gerbohay y rencontre Maurice Bavaud en 1935. Ils reçoivent le même enseignement strict, deviennent amis. Mais la personnalité du Breton se détache de celle de son camarade. « Il est très mystérieux, illuminé », dit Pat Perna, scénariste de la bande dessinée La part de l’ombre (éditions Glénat, janvier 2021), qui retrace l’histoire de Maurice Bavaud.
Au cours de ses recherches, il découvre que « Marcel Gerbohay demeure un personnage étrange, très vite évacué ». Il est décrit « comme quelqu’un d’original a minima, sinon fantasque, exalté », poursuit Marc Bergère, professeur à l’Université Rennes 2 en histoire contemporaine. Une référence à ses supposées crises nocturnes, son somnambulisme et ses cauchemars. Ou son appartenance, aurait-il assuré, à la descendance du tsar Nicolas II. Une personnalité teintée de zones d’ombre.
« Compagnie du mystère » et foule debout
Ce qui est sûr, c’est que les deux compères aiment parler politique sur leur temps libre. Ils créent leur « Compagnie du mystère ». Marcel Gerbohay en prend la tête. « C’est une sorte de club ou de confrérie, résume Pat Perna. La première idée aurait été d’approcher Hitler pour le convaincre d’attaquer la Russie et le communisme. C’est le point de départ d’une espèce de folie absolue. » Que se sont-ils racontés ? Jusqu’où sont-ils prêts à aller dans leur conspiration ?
Un extrait de dossier judiciaire au nom de Marcel Gerbohay, traduit en français, conservé à la division archives des victimes des conflits contemporains, à Caen. | OUEST-France
Rentré à Neuchâtel pour l’été, en 1938, Maurice Bavaud ne retourne pas au séminaire. En octobre, il vole 600 francs suisses dans la caisse du magasin de ses parents puis séjourne dans différentes villes allemandes. Avant d’arriver à Munich le 9 novembre, sur les traces d’Adolf Hitler.
Le Suisse, armé, s’installe dans une tribune, à portée de tir du Führer qui défile. Mais tous les spectateurs se lèvent pour effectuer le salut hitlérien. Il n’a jamais pu aller au bout de sa tentative d’assassinat, la veille de la Nuit de cristal. « Il se fait arrêter quelques jours plus tard dans le train, sans billet mais avec une lettre de recommandation qu’il s’était écrite pour rencontrer Hitler », raconte le scénariste. Maurice Bavaud est condamné à mort en décembre 1939, et exécuté en mai 1941 à la prison de Berlin-Plötzensee.
Enquête bâclée et arrestation un 1er janvier
L’histoire aurait pu s’arrêter là, et Marcel Gerbohay connaître un sort bien distinct. Car la Gestapo, à la recherche de complices, demande aux autorités suisses une enquête. La police fédérale rend, en juin 1940, un rapport confus, réalisé à la va-vite après l’audition de trois témoins. « Nous avons pu acquérir la conviction que Bavaud n’était à la fin de son séjour à Saint-Ilan rien moins que l’homme de paille de Gerbohay », est-il écrit en conclusion, et que « Gerbohay a poussé Bavaud à partir pour l’Allemagne ».
Un dossier au nom de Marcel Gerbohay est conservé à la division archives des victimes des conflits contemporains, à Caen. | OUEST-FRANCE
Entre-temps, le Breton a quitté Saint-Ilan pour rejoindre le petit séminaire de Châteaugiron, avant de retourner vivre à Pacé. Informé de l’enquête des nazis, il passe en zone libre en juin 1940. Ne revient que pour réveillonner avec sa mère le 1er janvier 1942, date de son arrestation. Il aurait été dénoncé par sa sœur Angèle. Sans que cela ne soit formellement prouvé.
Dans une lettre écrite à sa mère avant d’être exécuté, il « embrasse sœurette bien-aimée », admet aussi avoir « voulu arranger les choses mieux que Dieu, il a puni mon orgueil, qu’il soit béni et qu’il me pardonne ». Jugé et condamné, Marcel Gerbohay est guillotiné le 9 avril 1943 à la prison de Berlin-Plötzensee.
Carte de déporté et nom gravé
La famille de Maurice Bavaud s’est depuis battue pour obtenir sa réhabilitation par la Suisse. Procès en révision, appel… En 2008, le président de la Confédération a reconnu les manquements des autorités de l’époque. Du côté de Marcel Gerbohay, sa mère a obtenu dès 1955, à titre posthume, sa carte de déporté politique.
Le statut de déporté résistant lui a, en revanche, été refusé. Son nom a été gravé après-coup sur le monument aux morts de 1939-1945 de Pacé.
Frédéric Venien, ancien maire de la commune, se souvient avoir « reçu une lettre officielle au début des années 1990 pour l’y rajouter ».
En fallait-il plus pour honorer la mémoire de Marcel Gerbohay ? « Ce n’est pas vraiment étonnant qu’il ne soit pas répertorié comme résistant, explique l’historien Marc Bergère, car les faits sont antérieurs à l’Occupation. Et puis il s’agit d’une action par procuration, si tant est que ce soit bien la réalité. Sa mémoire est donc restée dans l’ombre de celle de Bavaud. »
Il observe que le Pacéen dispose d’une fiche dans le Maitron des fusillés exécutés, dictionnaire de référence. « Il n’a, à mon sens, pas besoin d’une quelconque réhabilitation chez nous, conclut-il. Cette affaire renvoie surtout aux enjeux mémoriels de la Suisse, pas exempt d’ambiguïté à cette époque.