LE RÉSEAU ALLIANCE
Chemin de la Résistance et des Maquis
Mis en ligne sur le site le 17 avril 2020 / mise à jour 8 juillet 2024
Nom du ou des réseaux d'appartenance dans la Résistance :
LE RÉSEAU ALLIANCE
Sortie du livre novembre 2021
SOURCE : http://memoiredeguerre.free.fr/deportation/alliance/alliance.htm
Les déportés du réseau Alliance arrêtés ou nés en Bretagne
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Alliance est un réseau de renseignement de la résistance intérieure française pendant la Seconde Guerre mondiale. Fondé par Georges Loustaunau-Lacau, officier politiquement situé à l'extrême-droite, il est composé principalement d'officiers (en grande partie de l'Armée de l'air), mais également de cadres de l'administration, et recrute dans les milieux politiques de droite. Créé au sein du régime de Vichy, il se rattache en premier lieu à l'Intelligence Service, puis aux services giraudistes après le débarquement en Afrique du Nord. Il est finalement rattaché aux services du Comité français de libération nationale, lors de la fusion de l'ensemble des services de renseignements français libres.
Son fondateur étant rapidement empêché d'exercer son commandement, c'est Marie-Madeleine Méric, alors son second, qui en prend la tête, de juillet 1941 jusqu'en juillet 1943, date à laquelle elle part pour Londres. Son adjoint, Léon Faye, devient le chef opérationnel à partir de ce moment jusqu'à son arrestation en septembre 1943 ; leur successeur, Paul Bernard, est pris en mars 1944. Méric reprend la tête du réseau depuis Londres, répartissant l'opérationnel entre le nord (Jean Roger), le sud-ouest (Henri Battu) et le sud-est (Helen des Isnards) — et laissant à Georges Lamarque le commandement du sous-réseau Druides. Après juillet 1944, le réseau, à nouveau sous l'autorité globale de Méric revenue en France, travaille à la libération de la France au sein des forces alliées.
Réseau couvrant l'ensemble du territoire métropolitain français durant la quasi-totalité de la guerre, Alliance compte jusqu'à 1 000 membres permanents, revendiquant à la fin de la guerre plus de 2 400 recrutements, dont 431 personnes qui perdront la vie durant la guerre. C'est le plus grand réseau dépendant de l'Intelligence Service sur le territoire français ; c'est également le plus grand réseau commandé par une femme durant cette période, et plus du quart de ses membres sont également des femmes. Par leurs noms de code, inspirés pour la majeure partie de noms d'animaux, ses agents sont surnommés par les services allemands « l'Arche de Noé ».
Les autorités allemandes d'occupation confient la lutte contre le réseau et ses agents aux services de contre-espionnage de l'Abwehr (Abwehr IIIF) de Lille — les premières arrestations de membres du réseau s'effectuant dans le Nord — puis de Dijon. Trois procès, se déroulant devant la Cour martiale du IIIe Reich, sont organisés pour juger les membres principaux du réseau qui ont été arrêtés ; tous ou presque sont condamnés à mort. L'ordre de faire disparaître entièrement le réseau entraîne l'exécution des condamnés, ainsi que le massacre, dans les derniers mois de la guerre, de la quasi-totalité des prisonniers arrêtés ou condamnés en tant que membres de l'Alliance, dont une centaine au camp de concentration de Natzweiler-Struthof.
Historique
Préludes
En 1936, Georges Loustaunau-Lacau, officier de la promotion Montmirail de Saint-Cyr[Note 1], héros de la Première Guerre mondiale et major de l'École supérieure de guerre est l'instigateur des réseaux « Corvignolles », service de renseignement militaire anticommuniste[Note 2]. Il a été également membre du cabinet Pétain au ministère de la Guerre, remplaçant le colonel de Gaulle comme « officier de plume » du ministre[2]. Cherchant à obtenir l'union des mouvements de droite nationaliste et d'extrême-droite[3] contre le Front populaire, il crée l'Union militaire française (UMR), et anime un groupement anticommuniste, anti-allemand et antisémite, « La Spirale », sous le pseudonyme de « Navarre ». Ce groupement publie deux périodiques, l'un anticommuniste et l'autre anti-allemand, qui sont finalement rassemblés dans L’Ordre national. Il confie le secrétariat général[4] du groupe de publications à Marie-Madeleine Méric[Note 3], journaliste alors à Radio Cité, et son adjointe directe pour ce qui est du renseignement et de l'activité clandestine de « La Spirale »[5]. En 1938 et 1939, grâce au travail de Berthold Jacob, qui enquête sur le sujet depuis 1933[6], L’Ordre national publie les ordres de bataille de l'armée d'Hitler, ce qui valut à l'équipe de Loustaunau-Lacau un succès d'estime (ou une certaine jalousie[7]) auprès des services officiels[4].
La Croisade
L’Ordre national est « sabordé »[8] par Marie-Madeleine Méric après la mobilisation de Loustaunau-Lacau (à la tête du 123e régiment d'infanterie[9]) et du rédacteur en chef. Loustaunau-Lacau quant à lui, accuse le commandement de trahison lorsqu'il voit de ses yeux l'impréparation des troupes au front. Il est incarcéré à la forteresse de Mutzig pour son insubordination, mais évite d'être fusillé pour sa mutinerie[Note 4]. Le 10 mai 1940, il est libéré, et repart presque aussitôt au front, en donnant l'ordre à Méric et à d'autres collaborateurs de le retrouver plus tard dans le sud, à l'abri de l'avancée allemande pense-t-il. Mais Loustaunau-Lacau est grièvement blessé, et fait prisonnier au lazaret de Châlons-sur-Marne[10] ; ses amis et leurs contacts d'Oloron-Sainte-Marie commencent à évaluer la possibilité de renseigner les Britanniques des concentrations de troupes ennemies. Après son évasion[11], Loustaunau-Lacau les rejoint fin août.
Devant les propositions de rejoindre Londres, il préfère[12] Vichy pour mettre en place le réseau : « Il va falloir nous débrouiller entre nous et montrer de quoi nous sommes capables pour que le secours vienne de l'extérieur. » Son but est d'aller directement à la source pour se renseigner, et prendre des contacts extérieurs pour agir[Note 5]. Ce premier groupe reçoit le nom de « Croisade ».
Loustaunau-Lacau propose aux autorités de Vichy la création d'un centre d'accueil pour les démobilisés, les évadés et autres réfugiés ou anciens combattants. Il loue l'hôtel des Sports et, son projet accepté par Pétain, met en place son équipe[3].
Dans le même temps et à sa demande, il est nommé délégué général de la Légion française des combattants, dans laquelle il espère trouver les meilleurs éléments pour ses projets[13]. Il compte également grâce à cette fonction pouvoir atteindre sans souci la zone occupée, dans laquelle il n'a pour le moment aucun contact[14], et demande à Marie-Madeleine Méric de mettre au point le futur réseau, lui devant rester insoupçonnable par prudence. Même si Méric n'est pas très enthousiaste de lui servir de chef d'état-major clandestin, elle accepte par défaut, Loustaunau-Lacau n'ayant confiance qu'en elle pour cette tâche[15],[16].
L'hôtel accueille les réfugiés pendant la journée et permet l'organisation de rencontres clandestines pendant la nuit, par le biais de ses chambres inoccupées. Parmi les personnalités qui viennent y établir des contacts se retrouvent le capitaine Brouillard, le colonel Groussard, Pierre Fourcaud (envoyé par de Gaulle), Jacques Doriot, Charles Maurras, Eugène Deloncle. Le gendre d'Albert Sarraut, Jean Roger, fait également partie des premières rencontres de la « Croisade »[17]. Ces échanges sont facilités par la nécessité pour l'armée française de recréer de toutes pièces ses services de renseignements, les archives du 2e bureau ayant été capturées durant la débâcle[18]. Loustaunau-Lacau fait le bilan de ces premiers contacts : deux filières pour transmettre les renseignements aux Britanniques s'offrent au réseau. La première est représentée par Fourcaud (« Foudroyant »), dont il assure le retour sur Londres via la complicité du colonel Baril, du SR-Armée. L'autre est représentée par Pierre Dupuy, diplomate canadien envoyé pour tâter le terrain vichyssois[19]. Il envoie également à Londres comme ambassadeur personnel Jacques Bridou, le frère de Marie-Madeleine, bilingue et récemment marié à une Anglaise[20]. Le but de Loustaunau-Lacau, en établissant ces contacts avec Londres, est double : tout d'abord informer les Britanniques de la création du réseau, et en même temps assurer de Gaulle de sa coopération pour la poursuite des combats. Toutefois, il pense qu'au préalable un commandement clandestin en France est nécessaire, pour prendre les décisions sur le terrain ; de plus, il compte informer directement les services britanniques, tout en souhaitant recevoir ses moyens d'actions via les services gaullistes[21]. Un manifeste, intitulé « La Croisade », est confié à Fourcaud et Dupuy[22] (ou simplement à Dupuy[19]) pour qu'il soit diffusé par tracts jetés d'avion[Note 6]. Les premiers renseignements à passer sont confiés à Fourcaud, avec notamment toutes les précisions concernant les camps d'aviation allemands près de la ligne de démarcation[22].
La Patrouille
Recrutement
Durant ces contacts, et à partir de leurs moyens personnels, Marie-Madeleine Méric prépare le terrain : quadrillage de la zone non-occupée en secteurs pour acheminer le courrier et observer les Allemands, préparation des filières de passage de la ligne de démarcation et d'évasion vers l'Espagne, orientation des nouveaux arrivants[24]. Parmi ceux-ci, elle recrute trois aviateurs baptisés « Patrouille Bleu-Blanc-Rouge », dont le chef est Maurice Coustenoble (alias « Bleu »). Déjà très actifs sur le terrain pour prendre contact avec leurs camarades de l'armée, ils aident Méric à mettre sur pied les nouveaux secteurs, et rechercher des agents de liaison et des opérateurs-radio, en prévision de la livraison de postes-radio[25].
Le général Pierre Baston, chargé officiellement par Pétain de superviser les activités du « centre d'accueil », anime d'apparentes soirées afin de prévenir la méfiance des autorités ; il s'arrange pour que les agents sédentaires du PC travaillent à des statistiques pour le cabinet du Maréchal, leur donnant ainsi une occupation d'apparence légale. Tout en déchargeant Méric de toutes les tâches en relation avec leur couverture, il l'informe également de la réputation plus que douteuse de « Rouge »[26].
Méric prend contact, par Henri Schaerrer, avec des marins marseillais (Jean Boutron, officier sur le Bretagne coulé à Mers el-Kébir, et ancien supérieur de Schaerrer dans la marine marchande, Gabriel Rivière et Émile Audoly, lieutenants de vaisseau[27]). Schaerrer est chargé de la « patrouille » de Marseille, que Méric va inspecter : elle y découvre l'« Amicale des marins de France », fondée par Boutron dans le but de dissimuler une action contre les Allemands[28]. Marseille est une ville favorable à l'action clandestine : la vieille ville accueille dans ses ruelles toutes sortes d'activités discrètes, et la police y est réputée pour son anglophilie et son anti-nazisme relatif[29].
Elle profite d'un passage à Monaco pour recruter Charles Bernis, as du renseignement et vieil ami de Loustaunau-Lacau[30]. Bernis pense que Pétain essaye de jouer un double-jeu, et n'a pas l'air particulièrement ravi d'être sous les ordres d'une femme[31], mais il accepte de rentrer dans le réseau, et commence par inculquer les notions du renseignement à ces néophytes. Il insiste particulièrement sur le fait que la France sera bombardée par les troupes alliées, et que leur travail sera de donner les renseignements les plus précis possibles, afin de préserver la population civile[32]. Au niveau technique, il préconise l'utilisation par les agents de cartes renseignées, ainsi que transcription des informations reçues en évitant toute interprétation. La centrale-renseignement installe son PC à Pau (dirigé par Bernis[33]), à la fois près de la frontière espagnole pour faciliter le passage du courrier, et de la ligne de démarcation pour le contact avec la zone occupée[31].
Fin 1940, l'organisation compte plus de 50 membres[34]. Dès l'entrevue de Montoire, Loustaunau-Lacau avait prévu que le temps viendrait où leur couverture ne serait plus suffisante, et où il faudrait passer dans la clandestinité[35]. C'est lorsque le colonel Groussard et les groupes de protection arrêtent Pierre Laval, chef du gouvernement, qu'il juge le moment venu : le centre d'accueil est fermé, l'hôtel des Sports abandonné pour un étage de l'hôtel du Grand-Condé, que Baston a loué pour transférer son bureau des statistiques[36]. Loustaunau-Lacau est toujours également fiché comme prisonnier de guerre évadé par les Allemands, mais compte sur ses nouvelles fonctions à la Légion pour voyager sans encombre à Paris.
Les ausweis[Note 7] récupérés auprès d'un entrepreneur collaborationniste sont d'ailleurs sujets à caution : Méric est contrôlée dès son premier passage de la ligne ; arrivée à l'ancien siège de L'Ordre national, elle apprend que les Allemands l'ont fouillé dès leur arrivée à Paris, recherchant sans succès Berthold Jacob[Note 8]. Elle décide d'y installer ses quartiers, s'assurant via un ami, Pierre Dayné, agent de la « Secrète », que ce lieu n'attirera pas trop la suspicion[37].
Loustaunau-Lacau n'obtient pas le droit d'installer la Légion en zone occupée, et rentre à Vichy, dégoûté des milieux collaborationnistes parisiens[37]. Il s'aperçoit que Méric intéresse déjà les services allemands[Note 9] et lui recommande la prudence[39] ; elle rentre peu après à Vichy. Pendant ce temps, Boutron fait le contact entre Loustaunau-Lacau et le capitaine de vaisseau Pierre Barjot, du service de renseignement de la marine[40] : celui-ci leur livre notamment la liste et le tonnage des U-Boot opérant en Méditerranée. Autre recrue de choix via Baston[41], Léon Faye, commandant d'aviation, apprend à Loustaunau-Lacau qu'un complot pour faire entrer en dissidence l'armée d'Afrique couve déjà à Alger. Loustaunau-Lacau et lui posent rapidement les bases du déclenchement de cette opération[42].
Méric rencontre Armand Bonnet, contact de Schaerrer, ainsi que son adjoint Jean Tœuf, et les nomme à la tête de la patrouille de Paris. À eux la charge de recruter un agent fixe pour Paris, un pour la Bretagne et un pour le Nord. Le colonel Baril, qui a camouflé le SR-Armée en Bureau des menées antinationales, peut repêcher les agents du réseau en cas de capture par la police française. Mais le manque de moyens, et surtout celui de postes-émetteurs, commence à se faire sentir[43].
Le retour en France de Fourcaud n'allège guère les soucis de l'état-major. Le tract de Loustaunau-Lacau, transmis par Dupuy, est trop direct pour de Gaulle[Note 10] : Fourcaud a l'interdiction d'aider un réseau qui refuse d'être sous le commandement du chef de la France Libre. Par contre, la réponse des Britanniques est positive : ils sont d'accord pour adopter le point de vue du réseau, à condition de rencontrer Loustaunau-Lacau. En plus de ce baume au cœur, Fourcaud, malgré l'interdiction, livre 500 000 francs au réseau : la moitié des moyens qui lui ont été attribués[23]. À la lune suivante[Note 11], le 14 mars 1941, c'est Jacques Bridou qui est de retour en France, et qui confirme le compte-rendu de Fourcaud, jugeant que le travail direct avec les Britanniques est plus raisonnable[2]. Un envoyé du War Office est prêt à rencontrer le chef du réseau à Lisbonne, aux alentours du 14 avril[44] : l’Intelligence Service (IS), elle aussi, a perdu ses réseaux et ses contacts à la suite du rembarquement de Dunkerque[45].
Entre-temps, les premiers soupçons à l'intérieur du réseau sont découverts. Un agent récemment recruté, ex-2e Bureau, estime que son recruteur est un traître[46]. Celui-ci, incriminé, accuse à son tour « Rouge » d'être en contact avec Hugo Geissler, chef de la délégation de la police allemande à Vichy[47]. L'éclaircissement vient rapidement : Coustenoble, signalé à la police par son ancien camarade, est obligé de se déguiser en femme pour se cacher[48]. Cette succession de mauvais présages entraîne Méric à partir sur Pau rejoindre Loustaunau-Lacau, en emmenant Schaerrer et Coustenoble ; elle évacue également l'hôtel du Grand-Condé[49].
La pension « Welcome », où s'est installé Bernis, est le point de chute de tous les agents à Pau, comme l'hôtel des Sports puis l'hôtel du Grand-Condé l'ont été à Vichy. Méric s'en inquiète, en constatant que l'action clandestine a justement du mal à l'être. Bien que la pension soit protégée par Henri Saüt, chef local de la Légion, Bernis trouve que ses agents sont extrêmement imprudents, au point pour certains de transmettre des renseignements en clair par carte interzone[Note 12]. Ici aussi, le problème de transmettre les renseignements aux Anglais se fait sentir, surtout que les cartes topographiques sont de mieux en mieux renseignées. Les derniers messages du secteur de Paris parlent également d'un groupe de Russes blancs, qui souhaitent prévenir les Britanniques du prochain envahissement de l'URSS par Hitler, renseignement transmis malgré le doute exprimé par Méric[50]. La recherche d'un terrain d'atterrissage et d'un autre de parachutage est confiée à Méric par Loustaunau-Lacau, avant qu'il ne parte pour le Portugal[51].
Réseau britannique
Loustaunau-Lacau embarque pour Lisbonne[52], où il rencontre Kenneth Cohen, du MI6[Note 13],[53] ; il a pu, grâce à ses anciennes connaissances de l'école de guerre[Note 14], arriver sans encombre au rendez-vous. Leur entretien dure trois jours, aux alentours du 14 avril. Si « Crane » (nom de code de Cohen) souhaite que le réseau s'occupe avant tout de renseignements, Loustaunau-Lacau obtient que les services britanniques avancent les sommes nécessaires au développement du réseau, tout en expliquant que son but est de favoriser le passage à l'action directe le moment venu. L'argent ainsi prêté serait remboursé par le gouvernement français à la fin de la guerre. Loustaunau-Lacau explique également qu'il continuera à aider les envoyés de De Gaulle, et qu'il le tiendra au courant des activités du réseau, par l'intermédiaire de Fourcaud. Crane accepte ces requêtes, à condition que les Britanniques soient toujours les premiers informés des renseignements obtenus[53]. En mai, le réseau compte une centaine d'agents[55].
Loustaunau-Lacau ramène dans ses valises les questionnaires pour les patrouilleurs, ainsi qu'un nouveau système de codage : des romans de la collection Nelson. Chaque livre ayant un indicatif, et chaque patrouille ayant son livre, le numéro clef est composé du numéro de page, du paragraphe et du nombre de mots choisis[56]. Une nouvelle désignation des agents est également mise en place, afin de permettre à l'IS de juger rapidement de la valeur de la source émettant le renseignement. Loustaunau-Lacau ne donne aux Anglais aucun renseignement sur les personnes qui composent le réseau, par crainte de retombées en cas d'envahissement de l'Angleterre[56].
Les Anglais fournissent à Loustaunau-Lacau un poste-émetteur, permettant enfin la transmission rapide des informations, ainsi que cinq millions de francs[57]. Le poste est installé dans le nouveau quartier-général, à la villa Etchebaster[58], à Pau. Pendant ce temps, Marie-Madeleine Méric organise son état-major : Coustenoble devient son adjoint, et Schaerrer doit prendre la tête de toutes les patrouilles de zone occupée. Tous trois passent à Paris pour distribuer les nouveaux questionnaires établis par l'IS, et établir les budgets de chacun ; celui de Bonnet est évalué prudemment, ce dernier s'affichant avec un certain luxe[59].
Une nouvelle patrouille (« Turenne ») basée à Paris est chargée de la zone interdite du Nord. Méric pressent les inconvénients créés par la lenteur des transmissions : impatience, tentative de recrutement en masse, compromission, etc[60]. La confirmation des préparatifs allemands pour l'opération Barbarossa rassérène ceux chargés du recrutement, qui espèrent bientôt pouvoir rallier les communistes à leur cause[61]. Méric tente d'aborder l'amiral de Laborde, via le frère de celui-ci, mais l'anglophobie du chef des Forces de haute mer lui fait repousser cette approche[62].
Loustaunau-Lacau, en accord avec Fourcaud et Faye, protégé par ses amis du bureau des menées antinationales et avec la bénédiction de Churchill[55], a entre temps embarqué pour Alger, afin de déclencher la dissidence de l'armée d'Afrique[63] ; il y débarque le 22 mai au matin, et se lance aussitôt avec Faye dans la mise en place du complot. Mais ils sont tous arrêtés dans la journée[64], et le complot démasqué[Note 15]. Loustaunau-Lacau s'évade grâce au commissaire Achiary de la Surveillance du territoire[9],[65]et rejoint la métropole le 25 mai ; les autres prisonniers sont remis en liberté sur parole. Pour peu de temps : le délégué général en Afrique Maxime Weygand, conscient de l'importance de l'affaire, transmet à Vichy ; le nouveau chef du gouvernement François Darlan fait transférer Faye et André Beaufre (du cabinet de Weygand lui-même) à la prison de Clermont-Ferrand. Baston est arrêté et emprisonné à Vals-les-Bains[67] ; Groussard y est conduit le même jour[41].
Changements d'affectation
Dès que Marie-Madeleine Méric est informée du désastre, elle se rend à Pau pour s'assurer des retombées. Baston lui promet de sauvegarder la patrouille de Vichy (menée par l'avocat Jean Labrit), et Bernis retourne à Monaco en attendant qu'elle reprenne le réseau en main ; tous deux doutent de ce que Méric pourra faire seule[68]. Celle-ci donne le commandement de la région Méditerranée à Bernis ; elle rencontre peu après Loustaunau-Lacau : il l'avertit que des traces de son nom avaient été trouvées à Alger, ce qui l'oblige à prendre une fausse identité. Loustaunau-Lacau doit se cacher, et pendant cette attente, il met en route différents projets : réseau sur l'Italie et la Tunisie, infiltration de l'Abwehr, contact avec l'ancien réseau de la Dame blanche[69]. Les effectifs des patrouilleurs dépassent désormais la centaine, et deux nouveaux émetteurs ont été adjoints au réseau : un pour Monaco, un pour Marseille. Ces envois se font grâce à Jean Boutron, qui est muté à l'ambassade de France à Madrid : Vichy souhaitait l'éloigner de Marseille et de son amicale, trop vaste, tout en envoyant un supposé anglophobe réorganiser le SR-Marine en Espagne. C'est une aubaine pour le réseau, car cela lui permet de prendre contact[Note 16] avec l'attaché militaire britannique, et d'acheminer le courrier plus rapidement[70]. Les premiers moyens financiers et les premiers postes émetteurs du réseau sont également fournis via cette valise diplomatique madrilène[2].
Pendant que le procès de Faye et Beaufre se prépare, les coups de filet commencent en zone occupée. Fourcaud échappe ainsi à une souricière chargée de faire tomber le réseau Saint-Jacques, fondé par Maurice Duclos[71]. Par contre, Schaerrer est bel et bien pris à Bassens le 11 juillet[72], et incarcéré à Fresnes ; Loustaunau-Lacau, bien que prévenu d'une prochaine arrestation, est arrêté à Pau le 18[73] sur ordre de Darlan[Note 17],[74], et rejoint la prison de Clermont-Ferrand. La pension Welcome est à son tour compromise[75]. Méric rend compte aux Britanniques de l'arrestation, et annonce qu'elle reprend le commandement ; pour maintenir Londres dans le flou, elle rédige tout au masculin[74],[76]. « Gavarni », le nouveau chef d'état-major, lui permet de retrouver un PC à Pau rapidement, à l'hôtel du Lycée. Le procès du complot d'Alger doit être jugé en octobre, et Loustaunau-Lacau continue de transmettre des renseignements via son avocat, Louis Jacquinot.
Autre malheur, le chef-radio Jolly est tué le 4 août lors de l'écrasement de son avion « Air Bleu »[77] : même si Jolly ne laisse aucune trace menant au réseau, il faut le remplacer — Robert Philippe est nommé à son poste. Fourcaud est bientôt capturé et emmené à Clermont-Ferrand, où sont également acheminés Hettier de Boislambert et Vincent Monteil[74]. Le 5 août 1941, le réseau organise sa première opération de parachutage (avec comité de réception) réussie[18].
À la suite de l'amplification des activités du réseau, les services britanniques décident d'envoyer du meilleur matériel, ainsi qu'un instructeur[71] et envoyé spécial, « Bla ». Sa mission, après avoir formé au nouveau matériel est de partir en Normandie pour y fonder un réseau indépendant[78]. Deux nouveaux postes sont parachutés en même temps que lui, le 5 août 1941, mais « Bla » est victime d'une crise d'appendicite à peine arrivé ; le réseau se charge de le faire soigner[79]. « Bla » profite alors de sa convalescence pour prendre des contacts avec tous les membres du réseau qui passent par la villa Etchebaster, et retarde son départ pour la Normandie. Lucien Vallet est enfin envoyé à Paris pour prendre en charge les émissions en zone occupée, et convoyer le nouvel émetteur. Par contre, il faut former le radio de Lyon qui prend en charge le deuxième appareil : pressée par l'urgence, Méric donne la permission à « Bla » de partir sur Lyon pour aider. Du côté de Paris, Bonnet doit être remplacé, car il s'adonne désormais au marché noir. Antoine Hugon, chargé de la Bretagne, vient de rapporter la carte de tous les alvéoles pour sous-marins construits à Saint-Nazaire ; il prend la place de Bonnet et doit rompre tout contact avec lui[80]. Mais Hugon est également en contact avec « Bla », qui de son coté a rejoint la Normandie, et émet de son propre poste vers Londres[81]. En octobre, six postes[34],[82] fonctionnent : Pau, Marseille, Nice, Lyon, Normandie, Paris. Les Anglais promettent un nouveau parachutage en novembre[83].
La police de Vichy étant devenue la principale adversaire du réseau, Coustenoble étudie l'assassinat de Darlan[77]. Une prémonition lui dit que ce dernier mourra par le revolver[84], mais Méric refuse qu'il s'en charge lui-même, malgré la volonté de certains membres[85]. Le 15 octobre 1941, le jugement de Clermont-Ferrand est rendu : la condamnation de Loustaunau-Lacau à la prison ferme, tout comme Faye et Beaufre (qui sont aussi exclus de l'armée), convainquent les membres du réseau que Pétain joue à fond la collaboration[Note 18],[3]. Certaines recrues se désengagent ; pour sa part, Méric n'attend plus rien de Pétain depuis la condamnation à mort de De Gaulle[82]. Ce jugement confirme également son statut de chef du réseau, Loustaunau-Lacau étant indisponible durant sa détention (deux ans, sauf évasion). Le reste du mois d'octobre est consacré à une tournée des « patrouilles » exécutée par « Gavarni », Coustenoble, Schneider et Mars Mesnard de Chal (trésorier du réseau), afin de faire le point sur les réfractaires et de remobiliser les autres[83]. Un nouveau parachutage d'un opérateur-radio, de matériel et d'argent (trois millions de francs) prouve que le réseau reste soutenu[89].
De mauvaises nouvelles tombent de Paris : l'entièreté de la patrouille « Guynemer », Bonnet, Vallet et Hugon compris, ont été arrêtés par les brigades spéciales, qui pensent avoir affaire à un réseau communiste[90]. Le seul rescapé est le poste radio, cachée par l'amie d'Hugon. Méric fait alors appel au colonel Barril, qui devait s'assurer que la police française soit neutralisée dans ce genre de cas. Mais « Lagrotte », le chef de la patrouille de Dordogne, est arrêté et fait des aveux complets[91], ce qui déclenche d'autres arrestations : repérée par le chef de la Sûreté de Pau[55], la villa Etchebaster est perquisitionnée, « Gavarni », Coustenoble et le reste de l'état-major sont appréhendés. Le chef de la patrouille Lyon-Dijon, Philippe Le Couteux est arrêté à Lyon, donné par son agent de Dijon. La patrouille « Turenne » a rejoint la patrouille « Guynemer » à Fresnes, leurs membres livrés à l'Abwehr[92]. Seule Méric, prévenue par une nouvelle prémonition de Coustenoble, peut s'échapper[93].
Avec l'aide de Boutron, elle atteint l'Espagne, et y rencontre les émissaires des services britanniques[94]. Entre temps, c'est le secteur de Marseille qui met en place l'intérim[95]. Par les Britanniques, elle apprend bientôt que « Gavarni » a été mis en liberté surveillée à Marseille, et qu'il tente de tromper le gouvernement de Vichy, par l'intermédiaire le chef de la Surveillance du territoire, le commandant Rollin. Il demande la permission de livrer l'argent qu'il a en garde (deux millions), ainsi qu'un poste-radio, afin de prouver à Vichy que le réseau est définitivement écroulé[96], et de faire libérer les prisonniers. Réticente, Méric donne son accord sous réserves que « Gavarni » cesse les contacts avec le réseau une fois l'échange effectué[97].
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