JAEGER Claude , colonel Michelin
Chemin de la Résistance et des Maquis
Mis en ligne sur le site le 8 septembre 2024
Nom du ou des réseaux d'appartenance dans la Résistance :
SOURCE : Mme Claude Jaeger
Claude Jaeger, colonel Michelin dans la Résistance, nommé le premier juillet 1944 chef FFI de la région M . On l’enverra ensuite fin 1944 remplacer le colonel Fabien à la première armée.
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Source : https://maitron.fr/spip.php?article148303
Né le 2 avril 1917 à Genève (Suisse), mort à Paris (Seine) le 16 septembre 2004 ; rédacteur au ministère des Finances, assistant réalisateur, producteur de cinéma ; communiste ; membre du Service B, officier des Francs Tireurs et partisans (FTP), chef régional des Forces françaises de l’Intérieur (FFI) de la région M.
Claude Jaeger appartenait à une famille de la bourgeoisie protestante, d’origine alsacienne, établie à Genève, mais conservant la nationalité française et profondément patriote. Son grand-père, qui avait quitté l’Alsace pour la Suisse, s’était porté volontaire en 1914. Son père, Louis, né en Suisse, avait également fait la guerre de 1914-1918 et en était revenu grand blessé et réformé. Il était mort en 1932. Sa mère, Esthère, née Lyon, travaillait au Bureau international du Travail à Genève.
Élevé d’abord en Suisse dans un milieu qu’il qualifiait d’« utopique » et de « wilsonien » en référence aux idées du président américain Wilson, Claude Jaeger fit ensuite des études de lettres (allemand) et droit à Paris. Bien que connaissant l’Allemagne où il avait séjourné et détestant le nazisme, il n’avait, dira-t-il, que des opinions politiques floues.
Il ne s’intéressait guère à la situation internationale, y compris au moment des accords de Munich en septembre 1938. Il était entré comme rédacteur au ministère des Finances et préparait les concours du Conseil d’État et de l’inspection des finances, mais sa vie, qu’il qualifiait de « chaotique » sur le plan intellectuel et sentimental, était celle d’un jeune homme fortuné, cherchant sa voie.
Il avait fait sa préparation militaire dans les chasseurs alpins en Haute-Savoie et fut mobilisé le 16 septembre 1939 à Montluçon dans l’infanterie. Dirigé vers le peloton EOR, il resta encaserné comme élève officier à Saint-Maixent. Souffrant de la médiocrité générale, de la crasse, de l’incapacité des cadres, il demanda en vain à plusieurs reprises à aller au front pour se battre, en dépit de ses convictions pacifistes. Signe du désordre qui régnait, il fut autorisé en pleine débâcle à aller présenter ses examens à Paris, à la veille de l’arrivée des Allemands, et ne put retourner à son régiment à Fontenay-le-Comte (Vendée) qu’avec difficulté, mais effrayé par ce qu’il avait vu.
Dégoûté par les discours des officiers sur la Patrie, la dignité, l’ordre à maintenir, écoeuré par la demande d’armistice par Pétain, refusant d’être fait prisonnier, il quitta son régiment à bicyclette avec un camarade juif, le lieutenant Cohen, espérant arriver à Hendaye où il avait la possibilité de se cacher. Ils furent arrêtés par les gendarmes, mis aux arrêts à Libourne (Gironde) et lui fut condamné à soixante jours de forteresse. Il fut démobilisé à Clermont-Ferrand et partit à Genève chez sa mère qui aurait voulu qu’il y reste. Ne supportant pas l’atmosphère qui y régnait, il revint à Paris, ayant à sa disposition l’appartement que sa famille possédait dans l’île Saint-Louis.
Il rejoignit son poste au ministère des Finances le 1er septembre 1940, mais démissionna rapidement et abandonna la préparation aux concours. L’armistice et la présence des Allemands lui étaient, dira-t-il, insupportables, « l’atmosphère irrespirable », n’ayant autour de lui que des admirateurs de la force allemande, des partisans de la collaboration. S’avouant « désorienté », « isolé », sa famille lui ayant coupé les vivres, il ne savait que faire jusqu’à ce qu’il rencontre par hasard Manuel Azcarate*, membre de la direction du Parti communiste espagnol (PCE), avec qui il avait fait une partie de ses études en Suisse. Azcarate avait été condamné à mort par contumace par le tribunal militaire de Marseille où une partie de l’état-major du PCE était installée. Claude Jaeger l’hébergea et adhéra alors au PCE auquel, par ailleurs, son frère aîné Jean-Louis, membre du parti communiste suisse, avec qui il restait en contact, apportait son aide en faisant la liaison entre la France et la Suisse. Menacé d’arrestation à Paris, Claude Jaeger passa en zone non occupée en 1942, toujours en relation avec la direction du PCE. À Paris, désireux de trouver sa place dans le cinéma, il était devenu, grâce à Jacques Becker, l’assistant réalisateur de Louis Daquin qui appartenait à la Résistance communiste. En zone non occupée, il retrouva les mêmes fonctions auprès de Marc Allégret, marié avec sa marraine, Kadeni Vogel (sœur de Marie-Claude Vaillant-Couturier*).
C’est chez Marc Allégret, à Golfe-Juan (Alpes-Maritimes), que Claude Jaeger fut interrogé par la police, le 12 septembre 1942, après l’arrestation de son frère Jean-Louis. La police avait perquisitionné son appartement du quai de Bourbon, à Paris. Elle y avait trouvé Henriette Niepce, épouse de son ami, le futur cinéaste Gilles Pontecorvo, militant du parti communiste italien (PCI). Claude Jaeger fut rapidement mis en liberté grâce aux relations de Marc Allégret, en particulier celle du colonel Vautrin, chef du 2e bureau pour les Alpes-Maritimes, qui était engagé dans le réseau de Résistance du peintre André Girard (réseau Carte) avec lequel Jaeger avait eu le contact par l’intermédiaire de Claude Dauphin. Ce type d’organisation clandestine ne lui paraissant pas « sérieux », il continua à militer avec les organisations communistes. Coupé du PCE par les arrestations, il passa au PCI. Pontecorvo, qui était réfugié en zone sud, le retrouva à Saint-Tropez (Var) dans la maison que possédait la famille Jaeger. Pontecorvo le mit en contact avec Giorgio Amendola, qui était membre de la direction extérieure du PCI installée à Marseille. Jaeger fut intégré alors aux FTP-MOI dont les cadres du PCI formaient l’ossature en Provence. Les témoignages qu’il a donnés de son action étant flous et sa mémoire, comme le faisait remarquer Henri Michel qui l’avait interrogé en 1947, étant sélective, il n’est pas aisé de restituer son activité clandestine.
Il dira à Roger Faligot et Rémi Kauffer avoir été le « porte-bombes » d’Amendola (en fait des FTP-MOI) et obligé de se réfugier à Nice après avoir été repéré. En tout cas, à Nice, où il resta jusqu’à l’occupation allemande, en septembre 1943, sa tâche était de faire du renseignement grâce à ses relations et aux contacts que le milieu du cinéma lui permettait. De ce fait, il relevait aussi du service B (service de renseignement) des FTP. Les cadres du PCI étant passés en Italie après la chute de Mussolini, Claude Jaeger fut convoqué à Marseille et réaffecté en région parisienne par sa direction clandestine après septembre 1943. D’après lui, on lui aurait donné contact avec Rol Tanguy, mais il ne put le joindre et se serait retrouvé isolé. Il serait parvenu cependant à intégrer les FTP de la région parisienne et fut muté à l’un de ses états-majors régionaux (ou interrégionaux). D’après Roger Faligot et Rémi Kauffer, il aurait été d’abord responsable des groupes d’action de la banlieue sud sous la direction d’Alphonse Legeay*, puis commissaire technique.
Dans un contexte très dur, avec une répression provoquant de nombreuses pertes, avec des moyens insuffisants, il participa à diverses « récupérations » pour l’organisation. Cependant, il avait conservé ou renoué le contact avec le service B pour qui il planqua de l’argent alors qu’il jouait au théâtre avec la Troupe de l’Avenir (où se trouvaient aussi Gérard Philippe, Évelyne Taillade, Hélène Vercors). Au début de 1944, il reçut l’ordre de couper tout contact par suite d’arrestations et, après être resté un moment sans rien faire, il fut envoyé en Bretagne et sur la côte atlantique par la direction du Service B pour inspecter le réseau régional (réseau Le Peuch), avant qu’elle lui en confie la direction avec pour mission de le réorganiser et de mettre en place un cloisonnement rigoureux. Là encore sans grands moyens, il tâcha de tisser une organisation structurée à partir de noyaux divers et dispersés et il étendit l’aire grâce aux contacts avec le Front national qui lui permirent de recruter notamment dans le milieu industriel du Nord.
Mais cette organisation fut démantelée par la répression en avril 1944 alors qu’il rendait compte de son action à Paris. Sous le pseudonyme de Michelin et avec comme agent de liaison Henriette Pontecorvo, il fut alors affecté à l’état-major FFI de l’immense région M (couvrant tous les départements de l’Ouest) avec en charge le 3e Bureau, celui des opérations. Le débarquement de Normandie venait d’avoir lieu. Les difficultés de liaisons étaient considérables et, de fait, plusieurs secteurs échappaient à l’autorité de ce commandement, à commencer par la Bretagne. En outre, la répression continuait à faire des ravages parmi les responsables de la Résistance. Refusant de participer à une réunion convoquée par le Délégué militaire régional qu’il jugeait imprudente, il échappa ainsi à l’arrestation le 24 juin.
Il remplaça alors le chef d’état-major FFI qui, lui, avait été arrêté. Il s’employa à renouer les liens, échouant en Indre-et-Loire, y parvenant en Mayenne et Loire-Inférieure. Il avait rejoint dans la région du Mans Georges Beaufils (colonel Drumont) qui, depuis le printemps était un élément essentiel du dispositif FFI et de la Résistance communiste dans la région. C’est sur sa proposition qu’il fut nommé par le COMAC chef régional FFI le 1er juillet ce qui lui donna le grade de colonel FFI. Cette promotion est significative, avec d’autres, de la pénétration de la Résistance communiste dans les états-majors FFI, alors que dans le même temps, les FTP qui, théoriquement en faisaient partie, rechignaient à s’y engager pleinement. Elle est significative aussi du type de responsables que les communistes proposaient pour les instances communes aux autres organisations (origine bourgeoise, officiers de réserve) avec un rôle de représentation plus que de décision, celle-ci restant aux mains des cadres du parti (ici Beaufils en particulier d’où la « confusion » entre leurs prérogatives que note à juste titre Stéphane Weiss dans son étude).
En fait, compte tenu de l’atomisation de la Résistance et des ruptures de liaisons tant avec Londres qu’avec les départements de la région, mais aussi avec l’avancée des troupes alliées et les empiètements des officiers parachutés soutenus par l’état-major FFI du général Koenig à Londres, il ne put, d’après l’historien Christian Bougeard, réellement exercer complètement cette responsabilité, même si, sur le papier, il était à la tête de plusieurs milliers d’hommes. Son autorité, renforcée après le départ de Beaufils à Londres pour défendre la cause FFI auprès du général Koenig, s’étendait à la Sarthe, à la Mayenne et aux abords de la Normandie.
C’est là qu’il installa son PC et que, bien servi par sa connaissance de l’anglais, il noua des contacts autour du 8 août avec le commandement américain du général Patton qui, lui, ne voulait traiter qu’avec les officiers FFI. Les Américains laissèrent aux FFI le soin de nettoyer les poches de résistance allemande subsistant sur leurs arrières et d’assurer l’épuration, ce qui valut à Jaeger de nouveaux accrochages avec les officiers mandatés par le gouvernement provisoire, notamment le colonel de Chevigné, commandant militaire des régions libérées, et le colonel Éon en charge de la poche de Brest (Finistère). Lors de la venue du général De Gaulle à Rennes, le 21 août, il fut chargé de lui présenter les revendications des officiers FFI, mais, d’après ce qu’il raconta à Henri Michel, le Général aurait écourté la rencontre en le sachant FTP. Alors que les FFI étaient officiellement dissous, il fut affecté auprès du général de Larminat, nommé le 14 octobre à la tête des forces françaises de l’Ouest, qui le traita de façon pour le moins méprisante. Supervisant surtout les opérations qui avaient lieu autour de Saint-Nazaire, il entra en conflit avec l’officier royaliste qui commandait les FFI de Loire-Inférieure.
Le projet de film sur « les va-nu-pieds superbes » assiégeant les poches bretonnes (avec Yves Allégret) ne put aboutir. Mis sur la touche, il revint à Paris et fut chargé au début décembre 1944 de l’intégration dans l’armée des régiments FFI des 3e, 4e et 11e régions militaires, lorsqu’il fut nommé au pied levé par la direction nationale FFI (Malleret Joinville), sur proposition de la direction du parti communiste pour remplacer Pierre George Fabien qui venait d’être tué accidentellement alors que son unité était à Habsheim (Haut-Rhin). Il choisit comme adjoints ses camarades du service B, Boris Guimpel* et Jean-Pierre Vigier* (autre camarade d’école, qui avait été en Bretagne sous ses ordres), ainsi que le communiste Robert Ménegoz, futur réalisateur de cinéma.
Il prit son commandement de façon effective le 11 janvier 1945, mais l’accueil de ses supérieurs, et d’abord celui du lieutenant-colonel Gauvin, fut plus que réservé. Cependant, il bénéficiait du soutien de la haute hiérarchie, tant du général de Lattre de Tassigny, commandant la 1e Armée française, qui, dira-t-il, se servait de lui pour flatter le PCF, que du général Carpentier, commandant la 2e DIM, qui lui confièrent la responsabilité entière de son régiment, devenue le 151e RI-FFI, à ses risques et périls. En liaison avec la direction du PCF (dont l’appui, très relatif, le déçut), il se fixa pour tâche de le transformer en régiment modèle, en dépit des nombreuses insuffisances qu’il notait dans ses rapports en février 1945 : inexpérience face au danger, indiscipline, présence d’éléments douteux, manque de tenue et de moralité. Il exigea le respect des formes réglementaires de salut et termina le travail délicat d’ajustement des grades. Son unité était cantonnée à des missions défensives, mais elle participa à l’attaque de la poche de Colmar, à son extrême sud, du 7 au 9 février 1945.
Il lui fallut en céder le commandement peu après au lieutenant-colonel Gandoët, le général De Gaulle ayant exigé de de Lattre qu’il suive une formation d’officier dans une école de cadres. Cependant, De Lattre le garda dans son état-major jusqu’à sa démobilisation avec le grade de commandant de réserve le 29 octobre 1945. Il avait homologué colonel FFI le 27 avril précédent.
Grâce à André Malraux, dont il avait fait connaissance dans l’armée De Lattre, il fut nommé administrateur au Centre national du cinéma. Il assura la responsabilité de da production jusqu’au printemps 1950. Raymond Marcellin, secrétaire d’État à l’Industrie et au Commerce, le fit alors limoger. Claude Jaeger devint peu après responsable de la société de production cinématographique Procinex.
Cette société – ex-La Marseillaise, créée en 1937- était le principal instrument de production et de distribution du PCF. Jusqu’au milieu des années 1950, elle assura la réalisation d’une dizaine de courts-métrages de propagande pour le parti ou ses satellites, notamment en 1949, La bataille de la vie, Vive Staline et L’homme que nous aimons le plus ou, en 1950, Les Américains en Amérique.
Procinex produisit également des courts-métrages moins politiques (Mon ami Pierre, Paula Neurisse, 1951 ; Ma Jeannette et mes copains, Robert Ménégoz, 1953), des documentaires sur la haute-montagne (Des hommes et des montagnes et Neiges de Jean-Jacques Languepin en 1953 et 1955) ainsi que des films institutionnels, notamment pour des ministères. La société assurait aussi la distribution du cinéma soviétique. À partir du milieu des années 1950, le PCF, en proie à des difficultés financières, ralentit sa production et laissa à Claude Jaeger davantage de liberté dans le choix des sujets et des réalisateurs.
Procinex produisit ou coproduisit neuf longs-métrages de fiction à partir de Cela s’appelle l’aurore de Luis Buñuel (1956) et de nombreux courts-métrages et documentaires, parfois en association avec les pays de l’Est.
Une aussi longue absence d’Henri Colpi obtint la Palme d’or au Festival de Cannes en 1961. À son catalogue, figurent plusieurs Bunuel (dont Le Journal de la femme de chambre, 1964, et Le charme discret de la bourgeoisie, 1972), Julien Duvivier (Le diable et les dix commandements, 1962), Julien Baratier (La Poupée, 1962), Édouard Molinaro (La chasse à l’homme, 1964), Serge Roullet (Le mur, 1967), Frédéric Rossif (La Révolution d’octobre, 1967), Romain Gary (Kill, 1971), Roberto Rossellini (Le messie, 1975), etc. Procinex cessa ses activités en 2003. Claude Jaeger avait joué dans sept de ces films, dont deux avec Bunuel.
Vers la fin de sa vie, Claude Jaeger paraissait jeter un regard distancié sur la période de la Résistance et de la Libération.
Né le 2 avril 1917 à Genève (Suisse), mort à Paris (Seine) le 16 septembre 2004 ; rédacteur au ministère des Finances, assistant réalisateur, producteur de cinéma ; communiste ; membre du Service B, officier des Francs Tireurs et partisans (FTP), chef régional des Forces françaises de l’Intérieur (FFI) de la région M.
Claude Jaeger appartenait à une famille de la bourgeoisie protestante, d’origine alsacienne, établie à Genève, mais conservant la nationalité française et profondément patriote. Son grand-père, qui avait quitté l’Alsace pour la Suisse, s’était porté volontaire en 1914. Son père, Louis, né en Suisse, avait également fait la guerre de 1914-1918 et en était revenu grand blessé et réformé. Il était mort en 1932. Sa mère, Esthère, née Lyon, travaillait au Bureau international du Travail à Genève.
Élevé d’abord en Suisse dans un milieu qu’il qualifiait d’« utopique » et de « wilsonien » en référence aux idées du président américain Wilson, Claude Jaeger fit ensuite des études de lettres (allemand) et droit à Paris. Bien que connaissant l’Allemagne où il avait séjourné et détestant le nazisme, il n’avait, dira-t-il, que des opinions politiques floues.
Il ne s’intéressait guère à la situation internationale, y compris au moment des accords de Munich en septembre 1938. Il était entré comme rédacteur au ministère des Finances et préparait les concours du Conseil d’État et de l’inspection des finances, mais sa vie, qu’il qualifiait de « chaotique » sur le plan intellectuel et sentimental, était celle d’un jeune homme fortuné, cherchant sa voie.
Il avait fait sa préparation militaire dans les chasseurs alpins en Haute-Savoie et fut mobilisé le 16 septembre 1939 à Montluçon dans l’infanterie. Dirigé vers le peloton EOR, il resta encaserné comme élève officier à Saint-Maixent. Souffrant de la médiocrité générale, de la crasse, de l’incapacité des cadres, il demanda en vain à plusieurs reprises à aller au front pour se battre, en dépit de ses convictions pacifistes. Signe du désordre qui régnait, il fut autorisé en pleine débâcle à aller présenter ses examens à Paris, à la veille de l’arrivée des Allemands, et ne put retourner à son régiment à Fontenay-le-Comte (Vendée) qu’avec difficulté, mais effrayé par ce qu’il avait vu.
Dégoûté par les discours des officiers sur la Patrie, la dignité, l’ordre à maintenir, écoeuré par la demande d’armistice par Pétain, refusant d’être fait prisonnier, il quitta son régiment à bicyclette avec un camarade juif, le lieutenant Cohen, espérant arriver à Hendaye où il avait la possibilité de se cacher. Ils furent arrêtés par les gendarmes, mis aux arrêts à Libourne (Gironde) et lui fut condamné à soixante jours de forteresse. Il fut démobilisé à Clermont-Ferrand et partit à Genève chez sa mère qui aurait voulu qu’il y reste. Ne supportant pas l’atmosphère qui y régnait, il revint à Paris, ayant à sa disposition l’appartement que sa famille possédait dans l’île Saint-Louis.
Il rejoignit son poste au ministère des Finances le 1er septembre 1940, mais démissionna rapidement et abandonna la préparation aux concours. L’armistice et la présence des Allemands lui étaient, dira-t-il, insupportables, « l’atmosphère irrespirable », n’ayant autour de lui que des admirateurs de la force allemande, des partisans de la collaboration. S’avouant « désorienté », « isolé », sa famille lui ayant coupé les vivres, il ne savait que faire jusqu’à ce qu’il rencontre par hasard Manuel Azcarate*, membre de la direction du Parti communiste espagnol (PCE), avec qui il avait fait une partie de ses études en Suisse. Azcarate avait été condamné à mort par contumace par le tribunal militaire de Marseille où une partie de l’état-major du PCE était installée. Claude Jaeger l’hébergea et adhéra alors au PCE auquel, par ailleurs, son frère aîné Jean-Louis, membre du parti communiste suisse, avec qui il restait en contact, apportait son aide en faisant la liaison entre la France et la Suisse. Menacé d’arrestation à Paris, Claude Jaeger passa en zone non occupée en 1942, toujours en relation avec la direction du PCE. À Paris, désireux de trouver sa place dans le cinéma, il était devenu, grâce à Jacques Becker, l’assistant réalisateur de Louis Daquin qui appartenait à la Résistance communiste. En zone non occupée, il retrouva les mêmes fonctions auprès de Marc Allégret, marié avec sa marraine, Kadeni Vogel (sœur de Marie-Claude Vaillant-Couturier*).
C’est chez Marc Allégret, à Golfe-Juan (Alpes-Maritimes), que Claude Jaeger fut interrogé par la police, le 12 septembre 1942, après l’arrestation de son frère Jean-Louis. La police avait perquisitionné son appartement du quai de Bourbon, à Paris. Elle y avait trouvé Henriette Niepce, épouse de son ami, le futur cinéaste Gilles Pontecorvo, militant du parti communiste italien (PCI). Claude Jaeger fut rapidement mis en liberté grâce aux relations de Marc Allégret, en particulier celle du colonel Vautrin, chef du 2e bureau pour les Alpes-Maritimes, qui était engagé dans le réseau de Résistance du peintre André Girard (réseau Carte) avec lequel Jaeger avait eu le contact par l’intermédiaire de Claude Dauphin. Ce type d’organisation clandestine ne lui paraissant pas « sérieux », il continua à militer avec les organisations communistes. Coupé du PCE par les arrestations, il passa au PCI. Pontecorvo, qui était réfugié en zone sud, le retrouva à Saint-Tropez (Var) dans la maison que possédait la famille Jaeger. Pontecorvo le mit en contact avec Giorgio Amendola, qui était membre de la direction extérieure du PCI installée à Marseille. Jaeger fut intégré alors aux FTP-MOI dont les cadres du PCI formaient l’ossature en Provence. Les témoignages qu’il a donnés de son action étant flous et sa mémoire, comme le faisait remarquer Henri Michel qui l’avait interrogé en 1947, étant sélective, il n’est pas aisé de restituer son activité clandestine.
Il dira à Roger Faligot et Rémi Kauffer avoir été le « porte-bombes » d’Amendola (en fait des FTP-MOI) et obligé de se réfugier à Nice après avoir été repéré. En tout cas, à Nice, où il resta jusqu’à l’occupation allemande, en septembre 1943, sa tâche était de faire du renseignement grâce à ses relations et aux contacts que le milieu du cinéma lui permettait. De ce fait, il relevait aussi du service B (service de renseignement) des FTP. Les cadres du PCI étant passés en Italie après la chute de Mussolini, Claude Jaeger fut convoqué à Marseille et réaffecté en région parisienne par sa direction clandestine après septembre 1943. D’après lui, on lui aurait donné contact avec Rol Tanguy, mais il ne put le joindre et se serait retrouvé isolé. Il serait parvenu cependant à intégrer les FTP de la région parisienne et fut muté à l’un de ses états-majors régionaux (ou interrégionaux). D’après Roger Faligot et Rémi Kauffer, il aurait été d’abord responsable des groupes d’action de la banlieue sud sous la direction d’Alphonse Legeay*, puis commissaire technique.
Dans un contexte très dur, avec une répression provoquant de nombreuses pertes, avec des moyens insuffisants, il participa à diverses « récupérations » pour l’organisation. Cependant, il avait conservé ou renoué le contact avec le service B pour qui il planqua de l’argent alors qu’il jouait au théâtre avec la Troupe de l’Avenir (où se trouvaient aussi Gérard Philippe, Évelyne Taillade, Hélène Vercors). Au début de 1944, il reçut l’ordre de couper tout contact par suite d’arrestations et, après être resté un moment sans rien faire, il fut envoyé en Bretagne et sur la côte atlantique par la direction du Service B pour inspecter le réseau régional (réseau Le Peuch), avant qu’elle lui en confie la direction avec pour mission de le réorganiser et de mettre en place un cloisonnement rigoureux. Là encore sans grands moyens, il tâcha de tisser une organisation structurée à partir de noyaux divers et dispersés et il étendit l’aire grâce aux contacts avec le Front national qui lui permirent de recruter notamment dans le milieu industriel du Nord.
Mais cette organisation fut démantelée par la répression en avril 1944 alors qu’il rendait compte de son action à Paris. Sous le pseudonyme de Michelin et avec comme agent de liaison Henriette Pontecorvo, il fut alors affecté à l’état-major FFI de l’immense région M (couvrant tous les départements de l’Ouest) avec en charge le 3e Bureau, celui des opérations. Le débarquement de Normandie venait d’avoir lieu. Les difficultés de liaisons étaient considérables et, de fait, plusieurs secteurs échappaient à l’autorité de ce commandement, à commencer par la Bretagne. En outre, la répression continuait à faire des ravages parmi les responsables de la Résistance. Refusant de participer à une réunion convoquée par le Délégué militaire régional qu’il jugeait imprudente, il échappa ainsi à l’arrestation le 24 juin.
Il remplaça alors le chef d’état-major FFI qui, lui, avait été arrêté. Il s’employa à renouer les liens, échouant en Indre-et-Loire, y parvenant en Mayenne et Loire-Inférieure. Il avait rejoint dans la région du Mans Georges Beaufils (colonel Drumont) qui, depuis le printemps était un élément essentiel du dispositif FFI et de la Résistance communiste dans la région. C’est sur sa proposition qu’il fut nommé par le COMAC chef régional FFI le 1er juillet ce qui lui donna le grade de colonel FFI. Cette promotion est significative, avec d’autres, de la pénétration de la Résistance communiste dans les états-majors FFI, alors que dans le même temps, les FTP qui, théoriquement en faisaient partie, rechignaient à s’y engager pleinement. Elle est significative aussi du type de responsables que les communistes proposaient pour les instances communes aux autres organisations (origine bourgeoise, officiers de réserve) avec un rôle de représentation plus que de décision, celle-ci restant aux mains des cadres du parti (ici Beaufils en particulier d’où la « confusion » entre leurs prérogatives que note à juste titre Stéphane Weiss dans son étude).
En fait, compte tenu de l’atomisation de la Résistance et des ruptures de liaisons tant avec Londres qu’avec les départements de la région, mais aussi avec l’avancée des troupes alliées et les empiètements des officiers parachutés soutenus par l’état-major FFI du général Koenig à Londres, il ne put, d’après l’historien Christian Bougeard, réellement exercer complètement cette responsabilité, même si, sur le papier, il était à la tête de plusieurs milliers d’hommes. Son autorité, renforcée après le départ de Beaufils à Londres pour défendre la cause FFI auprès du général Koenig, s’étendait à la Sarthe, à la Mayenne et aux abords de la Normandie.
C’est là qu’il installa son PC et que, bien servi par sa connaissance de l’anglais, il noua des contacts autour du 8 août avec le commandement américain du général Patton qui, lui, ne voulait traiter qu’avec les officiers FFI. Les Américains laissèrent aux FFI le soin de nettoyer les poches de résistance allemande subsistant sur leurs arrières et d’assurer l’épuration, ce qui valut à Jaeger de nouveaux accrochages avec les officiers mandatés par le gouvernement provisoire, notamment le colonel de Chevigné, commandant militaire des régions libérées, et le colonel Éon en charge de la poche de Brest (Finistère). Lors de la venue du général De Gaulle à Rennes, le 21 août, il fut chargé de lui présenter les revendications des officiers FFI, mais, d’après ce qu’il raconta à Henri Michel, le Général aurait écourté la rencontre en le sachant FTP. Alors que les FFI étaient officiellement dissous, il fut affecté auprès du général de Larminat, nommé le 14 octobre à la tête des forces françaises de l’Ouest, qui le traita de façon pour le moins méprisante. Supervisant surtout les opérations qui avaient lieu autour de Saint-Nazaire, il entra en conflit avec l’officier royaliste qui commandait les FFI de Loire-Inférieure.
Le projet de film sur « les va-nu-pieds superbes » assiégeant les poches bretonnes (avec Yves Allégret) ne put aboutir. Mis sur la touche, il revint à Paris et fut chargé au début décembre 1944 de l’intégration dans l’armée des régiments FFI des 3e, 4e et 11e régions militaires, lorsqu’il fut nommé au pied levé par la direction nationale FFI (Malleret Joinville), sur proposition de la direction du parti communiste pour remplacer Pierre George Fabien qui venait d’être tué accidentellement alors que son unité était à Habsheim (Haut-Rhin). Il choisit comme adjoints ses camarades du service B, Boris Guimpel* et Jean-Pierre Vigier* (autre camarade d’école, qui avait été en Bretagne sous ses ordres), ainsi que le communiste Robert Ménegoz, futur réalisateur de cinéma.
Il prit son commandement de façon effective le 11 janvier 1945, mais l’accueil de ses supérieurs, et d’abord celui du lieutenant-colonel Gauvin, fut plus que réservé. Cependant, il bénéficiait du soutien de la haute hiérarchie, tant du général de Lattre de Tassigny, commandant la 1e Armée française, qui, dira-t-il, se servait de lui pour flatter le PCF, que du général Carpentier, commandant la 2e DIM, qui lui confièrent la responsabilité entière de son régiment, devenue le 151e RI-FFI, à ses risques et périls. En liaison avec la direction du PCF (dont l’appui, très relatif, le déçut), il se fixa pour tâche de le transformer en régiment modèle, en dépit des nombreuses insuffisances qu’il notait dans ses rapports en février 1945 : inexpérience face au danger, indiscipline, présence d’éléments douteux, manque de tenue et de moralité. Il exigea le respect des formes réglementaires de salut et termina le travail délicat d’ajustement des grades. Son unité était cantonnée à des missions défensives, mais elle participa à l’attaque de la poche de Colmar, à son extrême sud, du 7 au 9 février 1945.
Il lui fallut en céder le commandement peu après au lieutenant-colonel Gandoët, le général De Gaulle ayant exigé de de Lattre qu’il suive une formation d’officier dans une école de cadres. Cependant, De Lattre le garda dans son état-major jusqu’à sa démobilisation avec le grade de commandant de réserve le 29 octobre 1945. Il avait homologué colonel FFI le 27 avril précédent.
Grâce à André Malraux, dont il avait fait connaissance dans l’armée De Lattre, il fut nommé administrateur au Centre national du cinéma. Il assura la responsabilité de da production jusqu’au printemps 1950. Raymond Marcellin, secrétaire d’État à l’Industrie et au Commerce, le fit alors limoger. Claude Jaeger devint peu après responsable de la société de production cinématographique Procinex.
Cette société – ex-La Marseillaise, créée en 1937- était le principal instrument de production et de distribution du PCF. Jusqu’au milieu des années 1950, elle assura la réalisation d’une dizaine de courts-métrages de propagande pour le parti ou ses satellites, notamment en 1949, La bataille de la vie, Vive Staline et L’homme que nous aimons le plus ou, en 1950, Les Américains en Amérique.
Procinex produisit également des courts-métrages moins politiques (Mon ami Pierre, Paula Neurisse, 1951 ; Ma Jeannette et mes copains, Robert Ménégoz, 1953), des documentaires sur la haute-montagne (Des hommes et des montagnes et Neiges de Jean-Jacques Languepin en 1953 et 1955) ainsi que des films institutionnels, notamment pour des ministères. La société assurait aussi la distribution du cinéma soviétique. À partir du milieu des années 1950, le PCF, en proie à des difficultés financières, ralentit sa production et laissa à Claude Jaeger davantage de liberté dans le choix des sujets et des réalisateurs.
Procinex produisit ou coproduisit neuf longs-métrages de fiction à partir de Cela s’appelle l’aurore de Luis Buñuel (1956) et de nombreux courts-métrages et documentaires, parfois en association avec les pays de l’Est.
Une aussi longue absence d’Henri Colpi obtint la Palme d’or au Festival de Cannes en 1961. À son catalogue, figurent plusieurs Bunuel (dont Le Journal de la femme de chambre, 1964, et Le charme discret de la bourgeoisie, 1972), Julien Duvivier (Le diable et les dix commandements, 1962), Julien Baratier (La Poupée, 1962), Édouard Molinaro (La chasse à l’homme, 1964), Serge Roullet (Le mur, 1967), Frédéric Rossif (La Révolution d’octobre, 1967), Romain Gary (Kill, 1971), Roberto Rossellini (Le messie, 1975), etc. Procinex cessa ses activités en 2003. Claude Jaeger avait joué dans sept de ces films, dont deux avec Bunuel.
Vers la fin de sa vie, Claude Jaeger paraissait jeter un regard distancié sur la période de la Résistance et de la Libération.