CARIOU CORENTIN
Chemin de la Résistance et des Maquis
Mis en ligne sur le site le 23 mars 2021
Corentin Cariou est né à Loctudy le 18 décembre 1898 dans une famille de marins-pêcheurs très pauvres. Il va en mer à 12 ans. Fait la guerre 14-18 dans la marine. Démobilisé, il quitte en 1923 le Finistère pour aller chercher du travail dans la région parisienne. Il entre à la Compagnie du Gaz la même année .Il adhère, également en 1923, au syndicat C.G.T.U. et au Parti communiste. D’abord surtout militant syndicaliste, il deviendra secrétaire du syndicat du Gaz pour la région parisienne de 1930 à 1933 puis membre du bureau régional de Paris-ville du P.C.F., élu conseiller municipal (com.) de Paris. En 1939 il participe dans la région parisienne à la réorganisation dans la clandestinité du P .C. qui vient d’être interdit par le gouvernement Daladier .
En 1940, au mois de juillet, juste après la débâcle, il vient dans le pays bigouden qui vit les premières semaines de l’occupation et y prend contact avec l’organisation clandestine du P .C. notamment avec Alain Le Lay, Vincent Larnicol et Louis Guenneau qu’il aide dans leur action illégale rendue particulièrement dangereuse par l’occupation allemande.
Il retourne dans la région parisienne en décembre 1940 et se voit confier des responsabilités importantes par la direction du P .C. clandestin (Jacques Duclos et Benoît Frachon). Arrêté en 1941, il est transféré au camp de concentration de Chateaubriand (44) puis remis aux Allemands,- qui l’ont réclamé-, par les autorités de Vichy. Détenu ensuite comme otage au camp de Compiègne, il est fusillé le 7 mars 1942.
En plus d’une rue à Paris et d’une station de métro son nom a été donné après la Libération à de nombreuses voies de localités de la banlieue parisienne.
A signaler que de nombreux militants ouvriers et résistants d’origine finistérienne (E Hénaff, Nédellec, Corentin Celton, Auffret, P. Lescop, etc.) ont également donné leurs noms à des voies de la région parisienne.
Les obsèques solennelles de Corentin Cariou, conseiller municipal de Paris, conseiller général de la Seine, de Charles Michels, député; de Jules Auffret, conseiller général; de Maurice Gardette, de René Le Gall , de Léon Frot et Raymond Losserand, conseillers municipaux, et tous fusillés par les nazis, ont été célébrées le 1er novembre 1945 à Paris.
Il était utile de rappeler ici la mémoire d’un patriote exemplaire, d’un fils de Loctudy
E. Kerbaul, Bagnolet (93170).
D’après archives du P.C.F., de l’Institut M. Thorez, de l’Amicale des anciens des camps de Chateaubriand et de Voves, de l’Association nationale pour un Musée national de la Résistance, de l’Amicale des Veuves de fusillés, ainsi que des témoignages recueillis. .
In « LE TRAVAILLEUR BIGOUDEN » N° 73 de janvier 1978
Corentin Marie Cariou naît le 12 décembre 1898, à Loctudy, de Pierre Jean Cariou, marin pêcheur, et de Corentine Marie Struillou, journalière.
Il est le benjamin d’une famille de onze enfants. Son frère aîné périt en mer.
À douze ans et demi, Corentin embarque comme mousse. Il reste marin pêcheur jusqu’à ses dix-huit ans.
En 1917, mobilisé, il est matelot sur la Jeanne d’Arc, puis sur le torpilleur Sakalave et sur le cuirassé Courbet. Il est démobilisé en 1920, et redevient marin pêcheur.
À la mort de ses parents, (son père en 1920 et sa mère en 1923), parlant « assez mal » le français, n’ayant jamais « rien lu », il part travailler à Paris. Par l’intermédiaire de son frère Jean, il entre à la Compagnie du gaz de Paris. Il travaille comme aide de forge à l’usine de goudron (aujourd’hui démolie) de la Villette. Titularisé en 1925, il devient aide ajusteur.
Le militant syndical
De 1921 à 1934, le paysage syndical est marqué par l’opposition entre « unitaires » de la CGTU et « confédérés » de la CGT [elles se regrouperont en 1936].
En 1923, Corentin Cariou adhère à la CGTU, et peut-être à la SFIC* (Corentin Cariou, dans son autobiographie de la commission des cadres, parle de 1926) .
En 1924, il participe à la constitution de la cellule n° 193 du Gaz de la Villette (1er rayon).
En 1926, il est élu secrétaire et trésorier de la Caisse de solidarité des gaziers unitaires de la Villette. En 1927, 1928 et 1929, il est élu à la commission exécutive de l’Union des syndicats unitaires de la région parisienne. À partir de septembre 1929, il siège à la commission des conflits de la Fédération nationale CGTU des Services publics et de l’Éclairage.
En 1928 et 1929, il est secrétaire du 1er rayon communiste de la région parisienne. C’est à cette époque qu’il entre en conflit avec son frère, sur les plans politique et syndical. Il militait également au SRI, à la « Bellevilloise » et à la coopérative « la Famille Nouvelle ».
Corentin et Jean Cariou sont tous deux à la CGTU Gaz de Paris, mais dans des tendances différentes :
-Corentin appartient au courant « unitaire », proche de la SFIC-Parti communiste. Majoritaire dans la CGTU au plan national, ce courant est minoritaire à la CGTU Gaz de Paris.
-Jean est un syndicaliste révolutionnaire (proche de Pierre Monatte et de la revue syndicaliste La Révolution prolétarienne). Ce courant est majoritaire à la CGTU Gaz de Paris, dont Jean Cariou est le secrétaire général.
Mais, lors des élections du 20 mai 1930, les unitaires l’emportent, et Corentin prend la place de son frère [frère qui rejoindra la CGT deux ans plus tard] et adhère, à une date que l’on ignore, à la SFIO.
Malgré leurs divergences de vues, les deux frères conservent des liens familiaux.
En février 1931, Corentin Cariou crée la première école syndicale.
En 1932, il est élu secrétaire du comité intersyndical CGTU des services publics de la région parisienne.
Lors du VIIe congrès national de la SFIC-Parti communiste, en 1932, Corentin Cariou entre au Comité central, qu’il quittera lors du congrès suivant, en 1936.
En 1935, pour une affaire d’affiche jugée diffamatoire, il est révoqué du Gaz de Paris, de même que tout le bureau du syndicat. La mesure fait grand bruit et, après deux mois d’une vaste campagne d’opinion, les sept hommes sont réintégrés.
En 1937 et 1938, Corentin Cariou est membre de la Fédération des Bretons émancipés, animée par Marcel Cachin, qui milite pour la défense de la culture bretonne (Dans les années 30, les communistes dénoncent « le centralisme de l’Etat français bourgeois »).
En 1937, les communistes bretons fondent la Fédération des Bretons émancipés. Mais, à partir de 1938, le PC-SFIC prend ses distances avec les mouvements autonomistes bretons, Marcel Cachin dénonçant la « main du fascisme allemand » (discours au Sénat, Le Temps du 20 décembre 1938). Ce n’est qu’en 1944 que les communistes bretons reconstituent leur Fédération.
En 1938, élu représentant du quartier du Pont-de-Flandre (19e arrondissement), Corentin Cariou entre au conseil municipal de Paris.
Répressions Daladier et Sérol
Le 23 août 1939, est signé le Pacte germano-soviétique, ce qui provoque bien des déchirements et bien des remous parmi les communistes français, après leur engagement contre le fascisme espagnol..
Le 26 août 1939, la presse communiste française est interdite. Le 2 septembre, les députés communistes français votent les crédits de guerre.
Le 9 septembre, le Komintern développe une nouvelle ligne: du fait de la nature impérialiste du conflit, les sections doivent s’opposer à l’effort de guerre. Les communistes français en sont informés le 20 septembre.
Le 3 septembre, la France déclare la guerre à l’Allemagne.
Par le décret-loi Daladier du 26 septembre, le PC-SFIC est interdit. Toute activité communiste est illégale. Corentin Cariou n’est pas mobilisé, mais mis à la disposition de la police. Il doit attendre un ordre individuel de mobilisation.
Le 8 octobre, ont lieu les premières arrestations de députés communistes. Le 18 novembre, un nouveau décret-loi Daladier prévoit l’internement administratif de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ».
Le 23 décembre, Corentin Cariou est à la fois mobilisé et interné administrativement au camp d’internement administratif de Baillet-en-France. En janvier, il est transféré à la Ferme Saint-Benoît, en Seine-et-Oise, dans la première compagnie spéciale. C’est là que, le 21 janvier 1940, il apprend qu’il est déchu de son mandat municipal par le conseil de la préfecture (Les élus communistes sont déchus de leurs mandats par la loi du 20 janvier 1940).
Le 23 mars, il est transféré dans le camp d’internement de Bourg-Lastic, dans la deuxième compagnie spéciale de travailleurs (où il retrouva notamment Lucien SAMPAIX).
Le décret Sérol du 9 avril 1940
JO du 10 avril 1940. Le projet a été présenté par le ministre SFIO Albert SEROL, du gouvernement REYNAUD » prévoit la peine de mort pour propagande communiste.
Au printemps 1940, a lieu l’offensive allemande en France. Durant la débâcle de juin, Corentin Cariou s’évade. Le 22 juin 1940, le gouvernement français signe l’armistice avec l’Allemagne.
Durant tout l’été 1940, le PC-SFIC mène une politique de légalisation du parti. Il incite les communistes à sortir de la clandestinité, ce qui aura pour conséquence dramatique de faciliter l’arrestation de milliers de militants, lors des rafles d’octobre et de novembre. Corentin Cariou se rend donc à Lyon pour se faire démobiliser. Puis il va chercher en Bretagne sa femme, Marianne (Marie, Anne LE GARREC, née le 14 février 1893 à PLONEOUR-LANVERN, d’un père journalier et d’une mère repasseuse. Elle est d’abord brodeuse à Pont l’Abbé. A Paris, elle est femme de chambre dans une pension de famille. Elle meurt le 31 janvier 1958), et leur fille, Andrée, neuf ans. Tous trois regagnent Paris. Le PC-SFIC clandestin confie à Corentin des responsabilités dans le 19e arrondissement.
Répression de Vichy
Le régime de Vichy n’a pas libéré les militants victimes de la répression Daladier. Avec la loi du 3 septembre 1940 [La loi du 3 septembre 1940 reprend les termes du décret-loi DALADIER du 18 novembre 1939, en supprimant simplement quelques clauses de sauvegarde telle que l’existence d’une commission de contrôle ou la possibilité d’intercession des syndicats.], il va pouvoir se lancer à son tour dans la chasse aux communistes.
Le 4 octobre 1940, Corentin Cariou s’aperçoit qu’il est surveillé. « Un soir, dit sa fille Andrée, en se promenant dans le square de la Butte Rouge, il s’est rendu compte qu’il était suivi. En rentrant, il nous dit: « je ne suis pas sûr, mais je pense avoir été repéré; demain, je partirai ». La police tournait autour de trois familles du quartier: les SAMPAIX, les MICHEL et nous ». Mais, le lendemain, la police l’arrête à son domicile, 82 rue Compans. Il est interné au sanatorium d’Aincourt. En avril 1941, pour avoir participé à un « mouvement d’indiscipline » aux côtés de Jean DUFLOT notamment, il est incarcéré à la maison centrale de Poissy. En mai, il est transféré au Centre Surveillé de Châteaubriant, où il est placé dans la « baraque des isolés », toujours aux côtés de Jean DUFLOT.
Répression allemande
Le 15 mai 1941, le PC-SFIC fonde le Front national de lutte pour l’indépendance de la France. Le 22 juin, l’Allemagne envahit l’URSS, ce qui rompt de fait le pacte germano-soviétique. Les communistes français entrent massivement dans la résistance armée. Les Allemands leur mènent une traque acharnée. Les 10 000 à 20 000 militants détenus [18 000 à la fin 1940 selon Pierre Robrieux dans l’Histoire intérieure du Parti Communiste. 5 553 arrestations sous DALADIER et 4 à 5 000 de juillet 1940 à juin 1941.] dans les camps de l’État français servent à présent d’otages.
En juin-juillet 1941, sa femme et sa fille retournent en Bretagne.
Au camp de Châteaubriant, Corentin Cariou vit, dans la « baraque des isolés », le 22 octobre, l’exécution des otages. En février 1942, il est transféré au camp de Royallieu, à Compiègne.
Le 1er mars, un attentat est dirigé contre une sentinelle allemande, rue de Tanger, dans le 19e arrondissement de Paris. Les Allemands décident de fusiller vingt « communistes et juifs ».
La veille de son exécution, à 20 heures trente, Corentin CARIOU écrit à sa femme: « … Je suis dans une cellule isolée, pour ma dernière nuit (…) Je pars avec courage, en confiance dans la victoire finale. Sois courageuse pour élever notre chère file (…) Je ne vois pas ce que j’écris dans la nuit. Nos sacrifices ne seront pas vains… »
Corentin Cariou est exécuté le 7 mars 1942, à midi, en même temps que Pierre Rigaud et Léopold Réchossière (syndicaliste de la TCRP), dans une clairière proche de Carlepont.
Il est mort en criant: « Vive la France. Vive le Parti Communiste. »
Corentin Cariou est inhumé au cimetière de Cuts, commune voisine.
Depuis le 1er novembre 1945, il repose, près du Mur des Fédérés, au cimetière du Père-Lachaise, à Paris, avec six autres élus victimes du nazisme : Jules Auffret, Léon Frot, Maurice Gardette, René Le Gall, Raymond Losserand et Charles Michels.
(*)Section Française de l’Internationale Communiste — ancien nom du Parti communiste français
Sources :Paul Rolland, « Devoir de mémoire : Corentin Cariou », L’Estran, n° 25, bulletin municipal de Loctudy, octobre 2002.
·
Michel Dreyfus (dir.), Gaziers-électriciens, volume thématique du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, collection « Jean Maitron », Éditions de l’Atelier, 1996.
Un article du n°73 de janvier 1978 du journal Le Travailleur Bigouden :