La Libération du port de BRIGNEAU (témoignage)
Chemin de la Résistance et des Maquis
Mis en ligne sur le site le 28 août 2020


Documents transmis par Me Marie-elisabeth ROSOT de Pont-Aven

18 août 2020
"Bonjour Monsieur Guélard,
Je ne sais si je frappe à la bonne porte... J'ai en ma possession entre autres documents, des lettres datant de l'été 1944, époque où mon père (Loïc ROSOT) alors précepteur chez Mr et Me PORIEL à Brigneau, correspondait avec ses parents demeurant à Vannes. Parmi celles-ci trois d'entre elles relatent très précisément les événements de la libération de Brigneau. Elles sont un témoignage d'un témoin oculaire direct.

J'ai scanné ces courriers et les ai retapés pour plus de lisibilité. Je me tiens à votre disposition pour vous les transmettre si vous le souhaitez...

Mme ROSOT de Pont-Aven"

18 août 2020
"Bonjour Madame,
Vous frappez à la bonne porte. Je suis Responsable Départemental Multimédia à l'ANACR du Finistère et au Pôle Jean Moulin. Je gère les deux sites. Nous sommes bien sûr intéressés par vos documents afin de les faire connaître au public. Dès la réception de vos documents je les mets sur le Pôle.
Vous aurez bien sûr un droit de regard sur ce travail. A bientôt
Laurent Guelard
2 allee des châtaigniers 22200 Grâces"

18 août 2020

"Monsieur Guelard,
Merci de votre réponse...
Je me permets donc de vous transmettre les documents évoqués.
Les deux lettres de juillet n'ont d'autre valeur à mon sens que de situer un peu le contexte.
Les trois lettres du mois d'août représentent un témoignage des circonstances de la libération du port de Brigneau.
Comme toutes les relations, elles ont leur part de subjectivité.
Mme ROSOT de Pont-Aven"



PONT-AVEN 8 JUILLET 1944 (F)

Cher Papa, chère Maman, Chère Vette

Je pense enfin pouvoir correspondre régulièrement avec vous par l’intermédiaire d’un ami de Mr Le Dérout qui habite Pont-aven le dimanche et Quimperlé le reste de la semaine. J’espère que vous avez reçu le petit mot écrit en hâte chez Monsieur Baranger et acheminé à Vannes par un camion... Depuis tout va très bien. Je suis allé à Rosporden, reçu chez Mme le Bihan charcutière qui m’aurait bien pris pour son fils, mais elle avait arrêté un précepteur 2 jours avant.


Je suis allé à Riec et n’ai rien trouvé. L’autre soir le recteur est venu en visite avec un jeune prêtre, étudiant à Angers, ancien professeur à Saint-Louis de Brest, replié à Scaër. Il m’a indiqué une adresse – J’y suis allé jeudi. L’affaire esr faite... Je commence lundi matin – C’est chez Mr et Mme Poriel, industriels (conserves) à Brigneau en Moëlan, à 17 km de Pont-aven en passant par Coat-Pin, Belon,


N. D. de Lanriot, Kergroës, St Pierre – (Vous pourrez suivre sur une carte)

J’ai à m’occuper d’un garçon de 17 ans, très intelligent, tête de classe, sortant de 6ème et voulant entrer en 4ème ! C’est beaucoup de vouloir faire la 5ème en 2 mois ! ... Je n’ai rien promis aux parents. Il paraît très sypmthique et un peu malheureux chez lui auprès d’un père malade (Tout ce qui est cris, chants, rires est prohibé aux enfants !), d’une mère très faible, de soeurs que je nai pas encore vues, mais d’après les renseignements ! Hum ! ... assez légères ! ...

Je dois faire travailler un peu le plus jeune frère, 10 ans. Total par jour 3h 1⁄2. Le reste du temps m’appartient. (300 par mois).

Brigneau est un petit port microcospique, blotti au fond d’un petit aber de 500 ou 800 mètres de profondeur dans les terres. Une dizaine de maisons en comptant bien, sur le petit port face au large. La maison Poriel, attenante à la petite usine est à la fin du chemin carrossable qui mène au port. Ma chambre, un ancien bureau bâti au dos de la maison donne sur la mer. J’ai 10 m à faire, 20 marches à descendre pour être à l’eau ! On doit se contenter du port, très propre du reste, car toutes les plages sont minées. Ma chambre est complètement indépendante du reste de la maison. J’ai une clef et suis un peu comme un Robinson. C’est d’autant mieux que je peux ignorer complétement certains(nes) membres de la famille et me consacrer uniquement à Robert et à mon travail personnel.

Les Le Dérout m’ont demandé de m’arranger pour passer le weekend chaque semaine chez eux. C’est entendu avec les Poriel, départ le samedi soir, retour le dimanche soir. Depuis mon arrivée j’ai fait 6 séries de devoir de radio. Je n’ai pas perdu tout mon temps...

Ici j’aide de mon mieux. J’ai planté 1000 poireaux, arraché les pommes de terre. S. et moi allons chercher la viande, le lait... En ville tout le monde connait le “gendre” de Mr Le Dérout ! ... Veuillez demander au Collège ma carte d’alimentation afin de me l’expédier...

C’est plutôt pour la forme ! Les denrées rationnées n’existent plus ici !! ...

J’écris par ce courrier au Collège, mais une lettre peut arriver et pas l’autre.

Écrivez moi par retour afin que la lettre arrive à Quimperlé avant samedi midi par le service postal qui a lieu tous les 2 jours.

Bien affectueusement à tous

Mille baisers L. Rosot
L. Rosot Chez Mr Rincazeau Place St Michel Quimperlé
Pont-Aven – 8 – Juillet 44


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Cher Papa, chère Maman, Chère Vette


Je pense enfin pouvoir correspondre régulièrement avec vous par l’intermédiaire d’un ami de Mr Le Dérout qui habite Pont-aven le dimanche et Quimperlé le reste de la semaine. J’espère que vous avez reçu le
petit mot écrit en hâte chez Monsieur Baranger et acheminé à Vannes par un camion... Depuis tout va très bien. Je suis allé à Rosporden, reçu chez Mme le Bihan charcutière qui m’aurait bien pris pour son fils, mais elle avait arrêté un précepteur 2 jours avant.


Je suis allé à Riec et n’ai rien trouvé. L’autre soir le recteur est venu en visite avec un jeune prêtre, étudiant à Angers, ancien professeur à Saint-Louis de Brest, replié à Scaër. Il m’a indiqué une adresse – J’y suis allé jeudi. L’affaire esr faite... Je commence lundi matin – C’est chez Mr et Mme Poriel, industriels (conserves) à Brigneau en Moëlan, à 17 km de Pont-aven en passant par Coat-Pin, Belon, N. D. de Lanriot, Kergroës, St Pierre – (Vous pourrez suivre sur une carte)

J’ai à m’occuper d’un garçon de 17 ans, très intelligent, tête de classe, sortant de 6ème et voulant entrer en 4ème ! C’est beaucoup de vouloir faire la 5ème en 2 mois ! ... Je n’ai rien promis aux parents. Il paraît très sypmthique et un peu malheureux chez lui auprès d’un père malade (Tout ce qui est cris, chants, rires est prohibé aux enfants !), d’une mère très faible, de soeurs que je nai pas encore vues, mais d’après les renseignements ! Hum ! ... assez légères ! ...
Je dois faire travailler un peu le plus jeune frère, 10 ans. Total par jour 3h 1⁄2. Le reste du temps m’appartient. (300 par mois).
Brigneau est un petit port microcospique, blotti au fond d’un petit aber de 500 ou 800 mètres de profondeur dans les terres. Une dizaine de maisons en comptant bien, sur le petit port face au large. La maison Poriel, attenante à la petite usine est à la fin du chemin carrossable qui mène au port. Ma chambre, un ancien bureau bâti au dos de la maison donne sur la mer. J’ai 10 m à faire, 20 marches à descendre pour être à l’eau !
On doit se contenter du port, très propre du reste, car toutes les plages sont minées. Ma chambre est complètement indépendante du reste de la maison. J’ai une clef et suis un peu comme un Robinson. C’est d’autant mieux que je peux ignorer complétement certains(nes) membres de la famille et me consacrer uniquement à Robert et à mon travail personnel.
Les Le Dérout m’ont demandé de m’arranger pour passer le weekend chaque semaine chez eux. C’est entendu avec les Poriel, départ le samedi soir, retour le dimanche soir. Depuis mon arrivée j’ai fait 6 séries de devoir de radio. Je n’ai pas perdu tout mon temps...
Ici j’aide de mon mieux. J’ai planté 1000 poireaux, arraché les pommes de terre. S. et moi allons chercher la viande, le lait... En ville tout le monde connait le “gendre” de Mr Le Dérout ! ... Veuillez demander au Collège
ma carte d’alimentation afin de me l’expédier...
C’est plutôt pour la forme ! Les denrées rationnées n’existent plus ici !! ...
J’écris par ce courrier au Collège, mais une lettre peut arriver et pas l’autre.
Écrivez moi par retour afin que la lettre arrive à Quimperlé avant samedi midi par
le service postal qui a lieu tous les 2 jours.
Bien affectueusement à tous
Mille baisers
L. Rosot

L. Rosot Chez Mr Rincazeau Place St Michel Quimperlé
Pont-Aven – 8 – Juillet 44

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BRIGNEAU 17 JUILLET 1944 (F)

Cher papa,


J’ai pensé à vous le 15 et viens en retard vous embrasser pour votre fête, avez-vous reçu mes lettres (une par camion, expédiée de Concarneau, l’autre par poste de Quimperlé).

Vous pouvez maintenant m’adresser directement les lettres : L. Rosot, chez Mr Poriel, à Brigneau en Moëlan (Finistère).

Mon élève est très intelligent et travailleur, j’espère le rendre capable de rentrer en 4ème (Il sort de 6ème) – Temps magnifique – Cette fin de semaine, j’ai été passer le week-end chez les Le D. J’avais apporté une magnifique langouste pour le déjeuner de dimanche matin. (Parfois bon marché – quoique à la source même) - (Cela a fait plaisir je crois) .


Ici l’on doit afficher les listes d’habitants de chaque immeuble à la porte. J’y suis sauf pour la nuit du samedi au dimanche, et chez les Le D., uniquement pour cette même nuit. Le matin je travaille avec mon élève de 9H 1/2 à 10h 1/2 et de 11h à 12h.

Je travaille pour moi l’après midi jusque vers 15h1/2 ou 16h, après bain et canotage.


Je me couche d’assez bonne heure quoique le couvre-feu soit à 23h !

Le ravitaillement est bon, mais pas de pain.

C’est dur pour le matin. (à Pont-aven c’est plus «chouette»!)

Pour la fête de S., le 11 août, j’apporterai des homards ou des langoustines. On trouve des crustacés de toutes les espèces et connais déjà des marins.
En espérant recevoir des nouvelles de Vannes, je vous embrasse tous affectueusement. Bonne fête encore

L. Rosot


Brigneau Le 17- 7- 44


Cher papa,


J’ai pensé à vous le 15 et viens en retard vous embrasser pour votre fête, avez-vous reçu mes lettres (une par camion, expédiée de Concarneau, l’autre par poste de Quimperlé).

Vous pouvez maintenant m’adresser directement les lettres : L. Rosot, chez Mr Poriel, à Brigneau en Moëlan (Finistère).


Mon élève est très intelligent et travailleur, j’espère le rendre capable de rentrer en 4ème. (Il sort de 6ème ) – Temps magnifique – Cette fin de semaine, j’ai été passer le week end chez les Le D. J’avais apporté une magnifique langouste pour le déjeuner de dimanche matin. (Parfois bon marché – quoique à la source même) - (Cela a fait plaisir je crois) .


Ici l’on doit afficher les listes d’habitants de chaque immeuble à la porte. J’y suis sauf pour la nuit du samedi au dimanche, et chez les Le D., uniquement pour cette même nuit.

Le matin travaille avec mon élève de 9H 1/2 à 10h 1/2 et de 11h à 12h. Je travaille pour moi l’après midi jusque vers 15h 1/2 ou 16h, après bain et canotage.


Je me couche d’assez bonne heure quoique le couvre-feu soit à 23h !


Le ravitaillement est bon, mais pas de pain.


C’est dur pour le matin. (à Pont-aven c’est plus «chouette»!)


Brigneau Le 17- 7- 44


Pour la fête de S., le 11 août, j’apporterai des homards ou des langoustines. On trouve des crustacés de toutes les espèces et connais déjà des marins. En espérant recevoir des nouvelles de Vannes, je vous embrasse tous affectueusement.

Bonne fête encore

L. Rosot


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Brigneau le 7 août 1944

Chers parents,

Suis sain et sauf après avoir passé des heures un peu dures. Brigneau qui l’eut cru, a été le théâtre d’opérations militaires, qui bien que brèves, n’en furent pas moins énervantes et offrirent quelques émotions à tous les habitants... Vendredi, pendant le souper, vers 19h...

Après beaucoup de diplomatie il réussit à le faire sortir... On apprend après le dîner que les Russes de Malachappe, à 300 m au Sud sur la pointe Ouest de l’embouchure du bras de mer de Brigneau, doivent quitter le terrain... Ouf !!! Deo gratias.

Effectivement, nous voyons peu après plusieurs voitures de paysans transporter hommes et matériel... (Depuis 2 jours on fait sauter munitions et casemates et la base sous-marine de Lorient... secousses sur secousses).

Une fumée s’échappe de Malachappe, c’est la maison d’une dame (Garrec ?) qui flambe. Ladite dame donnait à boire aux Russes... Remerciements chaudement mérités. Sans l’intervention des Allemands de la Gast (Douane), toutes les petites maisons de la côte de Malachappe y passaient. La Douane de Douellan rejoint Brigneau.


Samedi – On apprend vers 9h du matin, le départ de tous les Allemands de la Douane. Des habitants et nous-mêmes visitons les lieux vers 11h...


- 13h30, malgré les bruits qui circulent, je prends la route de Pont-aven. Trajet à travers champs jusqu’au Croisement de Kergroës avant le Bélon. Je demande des renseignements sur la tranquilité du secteur à deux marins... “ Vos papiers” me dit l’un ” ! “ Inutile... Je le connais. Il est chez Poriel à Brigneau ” dit le second... Suis connu déjà, heureusement pour moi, car les gars de la Résistance ne font pas toujours quartier. “ Où vas-tu ? ” “ À Pont-aven.” “ Un bon conseil : fais demi-tour, une vedette allemande a voulu remonter le Bélon mais a été arrêtée à Kerfany (martyr breton, lieu de torture des otages et arrêtés de toute sorte) arrêtée par les armes de Kerfany aux mains de la Résistance... Les patriotes de l’autre côté du Bélon sont très excités, tu seras arrêté 15 fois et ne passeras pas au travers de tous les barrages.


Les Allemands sont encore à Pont-aven et à Riec ”... Un homme renseigné en vaut deux... Je fais demi-tour et arrive sous un soleil accablant à Brigneau. À l’entrée de l’agglomération, je trouve Mr Poriel et quelques voisins... “ Vous n’avez pas pu passer ? ” “ Non, qu’y a t’il ? ” “ Ici ce n’est pas mieux. Les douaniers sont tous revenus, ont installé mitrailleuse etc et ont réquisitionné “ L’Oiseau Bleu ”, le chalutier de Mr Briec, ils veulent fuir par mer, la Résistance est prévenue et doit empêcher le départ, on s’attend au combat d’une minute à l’autre !!! ”... Décidemment je tombe de Charybe en Sylla.

Le secteur demeurant calme, je regagne la maison avec Mme Poriel, les filles et les deux garçons par derrière l’usine... Quelques coups de feu, puis calme à nouveau... Après renseignements pris auprès de “ Paul ”, un des douaniers allemands, je regagne rapidement ma chambre d’où je suis toutes les opérations. La mitrailleuse I est située à 10m de ma porte, un peu à gauche la jetée. Sous ma fenêtre, un muret garde-fou, à l’abri duquel, fusil mitrailleur + un fusil ordinaire.

Sur la jetée, l’embarquement des vivres et des munitions des douaniers s’effectue. Avec sa jumelle l’un des douaniers scrute méticuleusement la rive escarpée opposée, couverte de taillis...

Quelque chose a du être repéré, la mitrailleuse I se met en action, silence...

Une vedette allemande croise à la recherche des douaniers !... Ils agitent un drap blanc... Ils sont répérés et attendent au large. La mer montante va permettre à “ L’oiseauBleu ” de quitter le port si... Des coups de feu claquent de part et d’autre. Des cris sur la rive opposée... un malheureux non- combattant vient d’être touché (d’une balle à la cuisse, artère fémorale coupée, meurt d’hémorragie en 25 secondes – 20 ans – pauvre garçon. Le soir je fus le visiter sur son lit funèbre dans la chaumière de ses parents.)... On ne peut passer le bras de mer, car ils tirent de part et d’autre sur tout ce qui bouge... Et personne n’a pu ni su lui faire un garrot. !...


On frappe à la porte voisine... très fort et on appelle Mr Duhamel (mécanicien de marine, voisin de ma chambre, une porte que l’on peut ouvrir de chez moi permet de communiquer. Personne ne répond. Les Duhamel sont planqués dans la brousse. J’y vais et demande ce qu’il y a... “ Une commission pour le mécanicien ”... “ Venez jusqu’à ma porte si vous le pouvez ”. J’ouvre. Un type essouflé... me parle bas et : “ Suis tombé dans leurs pattes... pour me tirer ai prétexté une course chez le mécanicien... Vais vous dicter les réparations à faire au “Joseph le Brix ”... “ J’écris, pas trop fier... Un allemand qui l’a vu entrer, garde ma porte à l’extérieur !... On parle bateau et... résistance des “ matériaux ”, pas d’armes, quelques fusils de chasse, pas de discipline stricte... C’est lamentable. Dans ce cas il vaut mieux les laisser filer, car de toutes façons ils seront pris ailleurs.

Planqués derrière l’appui de fenêtre nous observons. Un douanier va quérir Guichaoua et son fils Constant pour conduire le bateau. Ils refusent... Menacés du fusil “ Vous morts dans une minute ”. Ils refusent encore. Le douanier dit aller parler au chef qui comprend la situation et demande que Constant vienne mettre le moteur en route... Ce qui se passe nez à nez avec les fusils braqués. Le bateau démarre, Constant reste sur la digue. J’ai cru que le moment était venu pour la Résistance... Hélas pas d’assaut, mais quelques coups de feu de part et d’autre. Les Allemands se planquent sur le pont à l’abri des caisses de munitions...

Les chefs sont restés à terre et courent vers les môle de Malachappe. Ils protègent la sortie du bateau. Des coups de feu crépitent. Tout Brigneau est sur le quai. Cinq Allemands sont sur le môle de Malachappe à 400 mètres. On prévient la Résistance qui fonce. Bientôt on les voit lever les bras... Brigneau est libéré !... Nous hissons les couleurs françaises au mât du portail de l’usine...

Les patriotes reviennent bientôt, armés jusqu’aux dents, encadrant les cinq Allemands qui passent devant notre drapeau – que l’on met bientôt en berne pour le malheureux qui vient de mourir... Les esprits sont un peu excités... Certains craignent des représailles car “ ils ” sont encore à Quimperlé, au Pouldu et à Riec...

Dimanche matin, je vais à la messe de 9h avec les enfants Poriel. 5Km à pied pour aller, autant pour revenir. Au bourg, le drapeau flotte à la mairie, excitation de tous ces braves gens. On voit quelques patriotes armés. Ils ont pris des armes et des munitions samedi à Malachappe... Nous rentrons sous le même soleil de feu... Un cycliste nous dépasse. “ Les Russes sont au bourg avec des
tanks, ils tirent sur tout le monde ! ”... Hum !...
On prend ses jambes à son cou et nous arrivons à Brigneau prévenir les habitants. Un arrivant du bourg nous rassure. “ Ils ont pris la route de Riec sur Belon, sans doute cherchent-ils à rétablir une liaison, entre Le Pouldu et Riec ou Quimper ” ... Ouf !... Pan, pan... Vite on se planque, des camions arrivent. Mon sac, prêt depuis ce matin, nous partons Mr Poriel et moi, en rasant les talus, dans une grange. Les camions allemands, occupés par 10 hommes armés montent à Malachappe. Puis, quelques uns redescendent, s’éloignent. Nous rentrons par le fond de l’usine ... Et apprenons que le commandant de la Douane de Concarneau, ami intime de celui de Brigneau, était venu le chercher.

On lui répondit que tous étaient partis par mer... “ Gut, gut... ” Et ils nous ont quittés... L’alerte est passée. Après au déjeuner, préparé vers 14 heures, je vais dormir un peu, puis un bon bain me remet en forme... Le soir tombe, après une journée de forte chaleur... La nuit est calme, nous savons qu’ILS ARRIVENT enfin. Vannes est libéré, ils sont vers Lorient.

Aujourd’hui lundi, ça cogne dur à Lorient. Pas une minute sans artillerie ou avion...

Encore quelques 48 heures et nous serons libérés !... On ira rassurer tous les “ Pontavenois ”.

Ben affectueusement, espérant que vous n’avez pas trop souffert à Vannes.

Loïc Rosot.

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Brigneau 12 août 1944

Chers parents,

Hier, jeudi 11, chaleur accablante, ciel splendide... Visibilité d’une netteté incomparable sur mer... Tout ce qu’il faut pour une belle journée d’été... Mais journée tristement marquée par les émouvants obsèques des Martyrs de Kerfany...

Kerfany les Pins à 8 km d’ici, gentil coin dont la plage commençait à être fréquentée avant guerre. Occupé depuis 4 ans par les Allemands qui en firent ces derniers temps un bastion retranché, à l’abri des regards indiscrets... Lieu de torture et d’éxécution des otages et des innocents arrêtés par la gestapo de la région de Quimperlé...

Depuis quelques temps on pouvait voir les allées et venues d’un camion suivi de la voiture de la
gestapo de Quimperlé...”Ils” y étaient amenés sans espoir de retour ! ...

Hier après midi nous sommes donc tous partis pour Moëlan afin de participer à cette manifestation et aussi afin de prier pour eux.

Les obsèques étaient annoncées pour 15h. À 17h30 on annonça enfin le convoi qui venait par route (8 km). En tête les porte-croix, le clergé, les drapeaux français endeuillés de crêpe, cachés depuis si longtemps, puis les dix chars à bancs, chargés chacun de 2 cercueils, couverts des trois couleurs et d’une débauche de fleurs...

Au bourg les femmes ne cessaient d’arriver depuis 15 heures, chargées de gerbes, de couronnes simples et magnifiques... J’ai demandé une gerbe et suis parti à Kerbrien à la rencontre du convoi afin de participer au cortège... En queue de la file de voitures, un tombereau fourragère, drapée de rubans tricolores et de voiles aux couleurs nationales portait la dépouille d’une 21ème victime, un général de la famille de Neuville, arrêté à Quimperlé il y a 15 jours environ...

Vu l’état des corps on ne put faire la cérémonie à l’intérieur de l’église. Les voitures chargées se rangèrent devant le grand portail, en contrebas du terre plein de l’église. Les chantres et le clergé officièrent avec la pompe dont était capable cette bonne paroisse semi-rurale semi-maritime. Des représentants des F.F.I en uniforme, mitraillettes au poing rendaient les honneurs. Les vêpres des morts chantées, le cortège se reforma et nous nous rendîmes au cimetière...

Quelle impression poignante que ces vingt bières alignées sous ces montagnes de fleurs...

Journée vraiment inoubliable...”due à la civilisation” comme me le confiait un brave pêcheur. ! ...

Les corps furent retrouvés entassés pêle-mêle dans une fosse cimentée, atrocement mutilés, recouverts de pierres ! ...

Et l’on dit déjà que le fort de Clohars recèle un autre Katyn !...

Il ne faut pas oublier cette affiche allemande posée sur nos murs il y a quelques mois en parlant de Katyn et des Russes : “Les temps et les hommes changent, les méthodes restent”... Oh combien on peut leur retourner cette phrase...

Un constat fut dressé à Kerfany par des membres de la Résistance accompagnés de médecins légistes. L’un des Allemands fait prisonnier à Brigneau samedi dernier, le Commandant de la douane, fut amené pour le constat et signa...” Nicht correct” dit-il.

On dit, mais c’est un on-dit, que les armées d’occupation on fait subir le même sort à près de 200 000 français depuis quatre ans !...

Plus de victimes ainsi faites que par la pseudo-guere de 39-40 et les bombardements.

Dieu veuille que ces temps ne reviennent plus !

Demain, je vais à Pont-aven, pour 4 jours, jusqu’à mercredi.

Bonne fête à maman, je prierai la Sainte Vierge pour vous tous, plus particulièrement pour vous maman, demandez lui en retour de me procurer la grâce spirituelle et temporelle dont j’ai besoin, dont nous avons tant besoin “tous les deux”...

Bien affectueusement

L. ROSOT


P.S. D’ici peu je pense être mobilisé, c’est avec plus de joie et d’espoir que je partirai cette fois... Qu’en dit-on à Vannes ?...


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Brigneau du 19 août au 2 septembre 1944

En ce jour de la St Louis à Brigneau
Jour de crachin

Le filon des aventures « brinoises » continue.....

Reprenons depuis le 18...

19 août – Départ pour Pont-aven par Moëlan et Riec. (19km) avec le vélo que Suzanne m’avait prêté depuis mercredi 16... Pluie puis temps lourd – Bonne route – Bon week-end. Départ à Pont- aven pour retour à Brigneau le dimanche 20 vers 17h.

21 – 22 août. Pluie et vent violents. La chute barométrique et la réunion bruyante des mouettes et des goélands l’annonçaient depuis quelques jours. Brigneau bien triste sous la pluie...

23 août... Des bruits circulent depuis 2 ou 3 jours et ternissent le ciel redevenu clément... « On dit » qu’un Grésillon « aurait dit », en mer, à un marin de Doëlan que la garnison de Groix « pensait » faire une rafle en vedette sur les lieux de pêche – prendre 50 otages à cause des cinq prisonniers de douane faits à Brigneau le samedi 5 août... « on ajoute même que si les allemands ne trouvent pas le compte, ils feraient un coup de main sur Brigneau... perspective très gaie...

Ce même 23 août au soir... on apprend que deux officiers américains viennent visiter le terrain de la pointe de Malachappe qu’un poste de garde F.F.I. occupe (en vue du coup de main possible). Les deux officiers vont ensuite dîner chez Perennou, boulangerie, tabac, débit, à 100m d’ici – Tout Brigneau s’y rend. Marseillaise, Chant du Départ, « It’s a long way » scène vraiment extraordinaire de chaude et simple sympathie de la part de tous ces marins – Scène bien couleur locale qui aurait intéressée papa : 3 ou 4 chandelles éclairant le débit où tous nous buvions vin blanc et cidre payés d’une liasse de billets par nos hôtes alliés ! ... « Donnez leur à boire » et s’il n’y a pas assez d’argent, dites le moi ! »...

Tous ces marins attablés dans la pénombre buvant et chantant formaient un tableau aux couleurs chaudes et changeantes, jeux d’ombres et de lumières mouvantes à l’infini – Faces hâlées, blouses rouges ou bleues, reflets dans les yeux, dents blanches, teintes scintillantes des verres et des bouteilles de cidre doux... D’un coin retiré, avec deux ou trois marins aux caractères plus calmes, je pouvais observer et me remplir les yeux de cette scène... Les deux officiers mangeant dans une salle voisine avec quelques gardes F.F.I...

Vers 10h 1/2 j’ai pris le chemin de mon lit...

Mais avant j’ai encore entendu parler du coup de main possible... Je fais mon sac, dépose mes habits comme un pompier, pour les enfiler + vite en cas d’alerte... La nuit est calme...

24 août. On dit que des lignes téléphoniques Brigneau-Moëlan, Moëlan- Quimper et Quimperlé sont rétablies...Mais souvent coupées à nouveau ! ... Quelques F.F.I ont descendu un allemand, au figuré, puisqu’ils l’on tué, et au propre, car il était dans un pommier ! ... Plusieurs arrestations dans le pays pour trafic etc... On continue à tondre des femmes... Elles ont certainement mérité de sérieuses punitions, mais ce procédé est inadmissible à mon avis ; c’est bon pour les Boches mais pas pour les Français... La journée est calme, plus belle qu’hier... Bain délicieux – La vie est belle, plus que deux jours avant de revoir Suzanne...

Vers 21h30 vais me coucher – Vais-je faire mon sac oui... non... ça vaudrait peut-être mieux... Ah baste, à Dieu Vat...

11h10 « Ouais ! Qu’ai-je donc été faire dans cette galère » dirait Harpagon... Dors du sommeil du juste mon gars...

Suis réveillé en sursaut, il fait nuit noire. Des F.F.I crient, secouent les portes. « Fuyez au plus vite, sauve qui peut ! Les vedettes abordent à Port-Blanc. » (À 7 ou 8oo m de Brigneau)...

D’un bond me voilà debout, enfourne tout dans mon sac, à tâtons, perd mes lunettes...

Brouille ma serrure !!! Je sors par chez mes voisins Duhamel, vais cogner chez les Poriel, personne ne répondant, et les croyant déjà parti, je fonce dans le noir et rattrape les Duhamel – Vais avec eux


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à toute allure, à travers bois et chemins creux à Ker Even, à 3 ou 4 km d’ici dans une ferme qu’ils connaissaient.

Lumière du côté de Guidel ou de Lorient...

Le chien de la ferme nous accueille « aimablement ». La femme arrive, le calme, nous nous expliquons. Tout le monde est sans dessus-dessous. Cidre...


Vers minuit 30 on se couche, en se serrant un peu. Le père va avec le fils. La fille Duhamel avec la fille de la ferme, la mère Duhamel avec la patronne de la ferme et moi dans un grand lit avec le papa Duhamel ! ... Vers 1h je m’endors, tout est calme... Quelques coups de feu très loin... des puces... Trop chaud sous ce fichu édredon... me cale près du mur, fini par dormir un peu jusque vers 7h 1/4 – On se lève. Café et eau de vie – Puis on part à nouveau, mais en sens inverse en reconnaissance... Le secteur est des plus calme !!!


25 août Brigneau n’a pas été foulé par leurs bottes... Les F.FI, renforcés par ceux du bourg et de Clohars ont fait pas mal de bruit... Les Boches ont eu peur ne sachant pas devant quelles forces ils se trouvaient. D’ailleurs s’ils avaient débarqué ils l’auraient senti passer ! ... La marée allait être basse et ils auraient pu être bloqués !... L’alerte est passée. Les Poriel pas très contents que je ne sois pas allé avec eux... Je m’en fiche et ne tiens pas à attendre ces femmes criardes et ces enfants nerveux !!! Ils ont été d’ailleurs à 7 km d’ici ; ils ont du courage !


La dernière version de l’évènement est que ces vedettes, se sentant surveillées par un avion (on l’entendait), s’étaient simplement rapprochées de la côte pour se soustraire au champ de vision de l’avion... Moi, je ne demande que cela... Enfin il vaut mieux prendre ses précautions et mon sac sera fin prêt ce soir avant de me coucher.


Demain je vais à Pont-aven pour le weekend me reposer de mes émotions et me détendre un peu les nerfs... J’en ai assez et + qu’assez du milieu Poriel... Je crois qu’en définitive c’est pire que chez les Le Louët, simples et sympathiques malgré la case malade de Madame et le « retard mental » de Jean...


Au moins le Docteur était bon, logique avec lui-même et honnête à tous les points de vue. Ici c’est l’anarchie entre enfants et parents et entre parents eux-mêmes... Mr parle de devoir et de discipline mais ne fait rien pour apprendre ces vertus à ses enfants, le second tout au moins... Il est beau d’entendre sur tous les tons qu’un ordre est un ordre, qu’on doit obéir sans discuter etc... etc...


Mais les enfants font ce qu’ils veulent malgré les cris de Madame et les théories de Monsieur... À mon avis, si j’avais pu vivre seul avec Robert, j’en aurais peut-être fait quelque chose au point de vue obéissance car il a bon coeur... et n’a que 12 ans... Mais les parents crient et ne punissent qu’en menaces !... Éducation lamentable s’il en est... Peut-être n’aurais-je pas perdu mon temps, car je crois apprendre ainsi comment il ne faudra pas faire avec ceux que le bon Dieu me donnera... D’ailleurs tout cela vient du manque d’union entre les parents et d’un désaccord souvent perçu par les enfants... Ils veulent en profiter pour régner en maître... C’est bien la même chose dans une division quand les deux surveillants ne marchent pas la main dans la main...


Il est actuellement 20h40... Ca tonne du côté de Lorient...

Vais-je rester jusqu’au 10-12 septembre comme je le pensais en premier lieu .?... Je me tâte... Peut- être me reverrez-vous plutôt... Je serais si heureux de vous revoir tous.. Mais c’est aussi m’éloigner – pour combien de temps ? - de Pont-aven.

25 août (suite) Les Poriel ont reçu chez eux un groupe d’officiers de L’État Major de Scaër. Un Lieutenant Colonel et trois lieutenants dont un frère à Mr Chapel. Tous très chics. Des vrais soldats français enfin...

26 août Départ à pied pour Pont-aven. Rencontre S. qui venait à ma rencontre. Arrivé à la maison elle me donne pour ma fête une belle pochette et Madame Le Dérout me fait la surprise utile et agéable d’un beau pull-over brun qu’elle vient de faire tricoter pour moi ...

Dimanche 27. Au déjeuner rôti de proc froid. Boeuf – pommes sautées, lait à la crème et 4/4. Bonne vieille bouteille...


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L’après-midi après 16h (café) on a été cueillir des noisettes le long de l’Aven où les coudriers abondent.

Lundi 28 Départ en vélo (prêté par S.) pour revenir à Brigneau. 2 heures de classes à Robert de 10 à 12.


Visite d’un officier américain, d’Hollywood, Californie... père de 8 enfants, sait juste quelques mots de français... Conversation aussi gaie qu’épique !!!... Il prononce l’anglais d’une façon incroyable. Bien gentil quand même, mais bruyant...


Pendant de temps le sergent distribuait bonbons et biscuits aux gamins... Ils nous ont fait cadeau de dix boîte d’allumettes... Bienvenues !!!

L’après-midi. 1/2 h de classe à Robert qui semble fatigué de l’effort soutenu depuis un mois 1/2... Il me semble que je dois diminuer leçons et devoirs...


Enfin il n’y a plus que 15 jours à peine.

2 septembre

La semaine s’est écoulée paisible sauf l’extraction d’une vieille racine de molaire, mercredi, à Quimperlé. J’ai un peu d’infection et j’ai été hier à Pont-aven consulter le Dr Le Louët...

Néol Bo et iode. Cela va mieux et l’enflure disparaît.

Une combine a l’air de se dessiner pour que je vous envoie de mes nouvelles et même peut-être pour mon retour !...

L’aînée des filles, Gaby, est fiancée ou sur le point de l’être à Mr Charles Craft, fils d’un châtelain des environs, au Guilly entre Moëlan et Riec.

Mr Craft père doit se remarier avec Madame Veuve Harro ? (orthographe supposée) propriétaire du château du Penhoët en Grandchamp... Un taxi doit venir les prendre tous les deux au Guilly demain dimanche pour les emmener à Grandchamp. Je leur demande de prendre ces lettres pour les donner à mon élève Pierre Dréaut fils d’un buraliste de Grandchamp qui fera le nécessaire pour vous les faire parvenir j’espère...


Mais le taxi doit ramener Mr et Mme au Guilly dans 8 ou 10 jours ou 15 jours... Ca tombe à pic pour que je profite du retour à vide...

Donc, à très bientôt j’espère.

Mille baisers, Loïc.


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