Joséphine Baker,
une femme libre aux mille visages
Chemin de la Résistance et des Maquis
Mis en ligne sur le site le 26 novembre 2021 / mise à jour le 30 novembre 2021



Nom du ou des réseaux d'appartenance dans la Résistance :


Sous-Lieutenant des FORCES FRANÇAISES LIBRES
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Source : https://webdoc.france24.com/josephine-baker-pantheon/
Par
Stéphanie Trouillard
Journaliste France24.com

Danseuse, chanteuse, actrice, résistante, militante antiraciste... Joséphine Baker a porté bien des casquettes. Quarante-six ans après sa disparition, cette grande dame fait son entrée dans le temple des "Grands Hommes". Une cérémonie pour honorer un parcours hors normes depuis son Missouri natal et une vie à la rencontre des autres et au service du plus grand nombre. Portrait d’une femme flamboyante, engagée et généreuse.

"Je me souviens de l’horreur des émeutes raciales d’East Saint-Louis. (…) Je me vois encore debout sur la rive ouest du Mississippi, regardant la lueur des incendies des maisons des Noirs éclairant le ciel. Nous, les enfants, étions blottis les uns contre les autres, abasourdis, incapables de comprendre l'horrible folie de la violence de la foule."
Discours à Saint-Louis, le 3 février 1952.


C’est sous le nom de Freda Josephine McDonald que la future Joséphine Baker voit le jour, le 3 juin 1906 à Saint-Louis, dans le Missouri, un État du Midwest américain. Sa mère, Carrie McDonald, est lavandière, tandis que son père, Eddie Carson, est un musicien de rue itinérant. Ce dernier abandonne très vite sa famille, qui vit dans une grande pauvreté. Pour apporter un peu d’argent aux siens, Joséphine, surnommée "Tumpie", est placée dès l’âge de huit ans comme domestique dans des familles de Blancs qui lui intiment de "ne pas embrasser leur bébé".

Marquée par la misère, la jeune fille prend également très tôt conscience des discriminations. Au cours de son enfance, elle assiste aux émeutes raciales d’East Saint-Louis en 1917, parmi les plus sanglantes de l’histoire des États-Unis. Trente-neuf Noirs sont tués et plusieurs milliers sont laissés sans abri.

"Pourquoi je suis devenue danseuse ? Parce que je suis née dans une ville froide, parce que j’ai eu très froid durant toute mon enfance, parce que j’ai toujours désiré danser au théâtre."
"Les mémoires de Joséphine Baker", recueillis par Marcel Sauvage (1949).

À 13 ans, Joséphine quitte l’école pour se marier avec un certain Willie Wells, mais les noces ne durent pas. En parallèle, la jeune fille, qui a été plongée très tôt dans un bain culturel, rejoint un trio d’artistes de rue, le Jones Family Band. Elle se fait remarquer par son talent pour la danse et ses facéties. Lors d’une tournée, elle rencontre à Philadelphie Willie Baker, qu’elle épouse en 1921 et qui lui donnera son nom pour la postérité.

Le mariage n’est pas plus heureux, mais Joséphine a d’autres rêves. À 16 ans, elle quitte son nouveau foyer et part tenter sa chance à New York. Elle commence comme habilleuse à Broadway. Dans l’ombre, elle observe et apprend toutes les danses par cœur. Lorsqu’une "girl" tombe malade, elle est choisie pour la remplacer. Avec ses grimaces et son sens de l’humour, elle devient très vite populaire.
Le public l’aime. Elle est alors approchée par Caroline Dudley Reagan, la femme de l’attaché commercial de l’ambassade américaine à Paris. Celle-ci veut monter un spectacle en France intitulé la "Revue nègre". Elle propose à Joséphine d’en faire partie et lui offre un salaire de 250 dollars par semaine, le double de ce qu'elle gagne aux États-Unis.


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Source : https://www.letelegramme.fr/dossiers/josephine-baker-au-pantheon/moi-je-n-ai-fait-que-ce-qui-etait-normal-la-resistante-josephine-baker-entre-au-pantheon-ce-mardi-30-11-2021-12877488.php?xtor=EPR-3-[quotidienne]-20211130-[article]&utm_source=newsletter-quotidienne&utm_medium=e-mail&utm_campaign=newsletter-quotidienne

LE T
ÉLÉGRAMME Publié le 30 novembre 2021 à 06h00


« 
Moi, je n’ai fait que ce qui était normal » : la résistante Joséphine Baker entre au Panthéon ce mardi 30 novembre 2021
« C’est la France qui a fait ce que je suis, je lui garderai une reconnaissance éternelle. Vous pouvez disposer de moi comme vous l’entendez » : en offrant ses services à un officier du contre-espionnage à l’automne 1939, Joséphine Baker intègre la Résistance. Aussi engagée que courageuse, cette grande dame entre au Panthéon ce mardi.

« Dès le début de la Seconde Guerre mondiale, Joséphine Baker mène une double vie : artiste de music-hall au front et à l’arrière, et agent du renseignement animée d’un farouche patriotisme envers sa patrie d’adoption », raconte le chercheur Géraud Létang, du Service historique de la défense, qui détient les dossiers d’archives de ses activités de résistance, de renseignement et d’officier de l’armée de l’Air.

À lire sur le sujet Avec Joséphine Baker, six femmes au Panthéon

Naturalisée française en 1937 après son mariage avec Jean Lion, un industriel juif, l’artiste met son talent musical à contribution dès les premiers mois du conflit pour divertir les soldats français déployés sur la ligne Maginot. Et profite des réceptions auxquelles elle est conviée dans les ambassades pour recueillir du renseignement pour le contre-espionnage.

Utilisée comme couverture du chef du contre-espionnage

Victime de ségrégation dans son Amérique natale, la « Vénus noire » refuse en 1940 de chanter devant les Allemands dans Paris occupée. Après l’Appel du 18-Juin du général de Gaulle, elle sert de couverture à Jacques Abtey, chef du contre-espionnage militaire à Paris au service des Forces françaises libres. Devenu son « imprésario », il se déplace avec elle, sous la fausse identité de Jacques Hébert, avec d’autres agents sous couverture.


« Sa célébrité lui permet de se déplacer, de passer les frontières en groupe car une artiste implique une troupe, alors qu’en France, tout le monde est contrôlé », explique Géraud Létang.

"C’est très pratique d’être Joséphine Baker"

Les informations collectées sont rédigées à l’encre sympathique, invisible sur ses partitions musicales. L’artiste transporte parfois elle-même ces notes compromettantes dans son soutien-gorge.

« C’est très pratique d’être Joséphine Baker. Dès que je suis annoncée dans une ville, les invitations pleuvent. À Séville, à Madrid, à Barcelone, le scénario est le même. J’affectionne les ambassades et les consulats qui fourmillent de gens intéressants. Je note soigneusement en rentrant (…). Mes passages de douane s’effectuent toujours dans la décontraction. Les douaniers me font de grands sourires et me réclament effectivement des papiers, mais ce sont des autographes ! », s’amusera plus tard la danseuse dans l’ouvrage autobiographique « Joséphine ».

Grave accident d’avion

Installée en Afrique du Nord à partir de 1941, la vedette, épuisée par cette double vie, tombe gravement malade. Mais, en 1943, elle reprend son activité artistique au service des troupes alliées, tout en récoltant du renseignement pour l’état-major du général de Gaulle. « Les Alliés ne disaient pas tout aux Forces françaises libres », relève l’historien.

En juin 1944, elle manque de mourir dans un accident d’avion au large de la Corse. « Les naufragés virent arriver à la nage un détachement de (tirailleurs) sénégalais », relate le journal de marche du groupe de liaison aérienne ministérielle, dessins colorés à l’appui, signé en 1946 de la main de l’artiste.

Engagée dans les forces féminines de l’armée de l’Air avec le grade de sous-lieutenant, elle débarque à Marseille en octobre 1944. La chanteuse donne des concerts près du front pour les soldats comme pour les civils. Après le 8 mai 1945, elle se produira en Allemagne devant des déportés libérés des camps.

"Ce statut de combattant est une quête existentielle pour elle"


Titulaire de la Légion d'honneur

En 1946, elle reçoit la médaille de la Résistance. Puis, on lui propose la Légion d'honneur à titre civil, mais elle la désire à titre militaire. Sa demande est appuyée par plusieurs personnalités de la France libre. « Française d’adoption, elle a donné un magnifique exemple à l’union française », écrira le général Martial Valin, compagnon de la Libération.

« Chez Joséphine Baker, il y avait une volonté très grande de ne pas être une chanteuse au service des armées, mais une combattante qui chante. Ce statut de combattant est une quête existentielle pour elle », souligne Géraud Létang.

Un compromis sera finalement trouvé : en 1961, l’artiste sera décorée de la Légion d'honneur à titre civil, mais aussi de la croix de guerre avec palmes.

« Notre mère a servi le pays, elle est un exemple des valeurs républicaines et humanistes », mais « elle a toujours dit : « Moi, je n’ai fait que ce qui était normal »», a raconté son fils aîné, Akio Bouillon.








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Source : https://www.ouest-france.fr/culture/musiques/avant-son-entree-au-pantheon-retour-sur-la-vie-de-josephine-baker-ses-deux-amours-sa-resistance-85abbe56-4707-11ec-98b5-e0c1231c2fdc

OUEST FRANCE

Joséphine Baker au Panthéon. Qui était-elle vraiment ? Retour sur un incroyable parcours
L’artiste, la résistante, la mère d’une tribu arc-en-ciel, qui toute sa vie lutta contre le racisme, entre au Panthéon ce mardi 30 novembre 2021. De l’Amérique de la ségrégation à Paris, quel parcours !
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« Si elle a choisi sa vie, laissons la faire ! » En laissant la bride sur le cou très tôt à sa petite Freda Joséphine, sa mère, Carrie McDonald, pouvait-elle imaginer son entrée au Panthéon, un peu plus d’un siècle plus tard ?

Certes non. Les fées ne s’étaient pas trop penchées sur le berceau de la gamine qui rêvait de réussite. Née en 1906 à Saint-Louis, Missouri, de parents artistes, Joséphine a connu une enfance très dure. Dans cette ville qui appartenait à l’Union pendant la guerre de Sécession, la ségrégation restait très forte. À 7 ans, elle y travaille comme domestique chez des patronnes blanches sans pitié. À 11 ans, elle y est témoin d’un lynchage. Une nuit terrifiante qui la marquera à jamais.

Mais l’adolescente est vive, espiègle. La rue est son royaume, elle danse, traîne avec des artistes noirs. Se marie une première fois à 13 ans, puis une deuxième fois, à 15 ans, avec Willy Baker, gentil garçon dont elle gardera le nom.

Voir aussi : VIDÉO. La vie de Joséphine Baker, de ses débuts au music-hall à son entrée au Panthéon

Harlem, Broadway puis Paris

À 16 ans, elle le quitte pour tenter sa chance à New York, dans les cabarets de Harlem, puis intègre à Broadway une comédie musicale à la distribution entièrement noire. Elle roule des yeux, louche, gesticule, se fait remarquer et les spectateurs en redemandent. « Un soir de 1925 une femme blanche m’a attendue après le spectacle. Elle était productrice et voulait m’embaucher pour un spectacle noir qu’elle montait à Paris », écrit Joséphine dans ses mémoires. Elle embarque sur un transatlantique, direction Cherbourg ; reste une journée entière terrifiée, dans sa cabine. « J’avais tellement peur, de la mer, de l’Europe, de l’inconnu… »

La suite, c’est Paris, où elle vérifie cette promesse de Sidney Bechet rencontré sur le bateau :
« Tu verras, les Parisiens ne font pas attention à notre couleur. » « Il avait raison, assure-t-elle. Dès mon arrivée, j’ai été stupéfaite d’être traitée comme une égale par les Blancs ».

L’effet d’une bombe


Au Théâtre des Champs-Élysées, dans La revue nègre, où on la pousse, nue, en vedette, elle fait « l’effet d’une bombe ».
Un an plus tard, aux
Folies Bergères, elle enflamme le public, avec sa fameuse ceinture de bananes, se la jouant « alternativement clown ou séductrice, indigène ou américaine », pour déjouer l’imagerie raciste, dans une France alors puissance coloniale.

Le poids des bananes reste dur à digérer en 2021. 
« L’image de son corps présenté comme exotique embarrasse toujours », décrypte la féministe Rokhaya Diallo. « Même si Joséphine Baker a été cette Parisienne ayant enfin le visage d’une femme non-blanche, me permettant moi aussi de m’affirmer comme telle aujourd’hui », explique-t-elle, dans une tribune publiée dans L’Obs.

À l’époque, sa « danse sauvage », charleston mâtiné de hip-hop avant l’heure, symbolise aussi le renouveau artistique dont l’Europe a besoin, après guerre. « La Vénus noire » incarne la libération des corps, des femmes, et l’Afrique a la cote. Poiret l’habille, Simenon est son amant, Colette et Cocteau l’admirent, Hemingway fréquente son cabaret, Van Dongen et l’affichiste Paul Colin la dessinent. Elle apprend le français en lisant la presse qui n’arrête pas de parler d’elle.

Un nouveau mari et imprésario, Pepito Abatino, prend sa carrière en main, lance des produits de beauté à son nom. Dans les années 1930, elle se balade partout avec son guépard Chiquita, chante au Casino de Paris, fait du cinéma. Son naturel séduit les foules dans l’Europe entière, même si parfois, la haine aussi se déchaîne, comme en Autriche.

Espionne pour la France libre

Devenue Française en 1937 par un nouveau mariage avec l’industriel Jean Lion, Joséphine Baker ouvre un nouveau chapitre de sa vie lorsque la guerre éclate. « La France a fait de moi ce que je suis, en marge de tous les préjugés, j’étais prête à lui donner ma vie », écrit-elle encore dans ses mémoires. Elle devient espionne pour la France libre, voyage en terres ennemies avec des informations cachées dans ses partitions, s’engage dans les forces féminines de l’armée de l’Air, chante pour les troupes alliées.

En 1945, elle est une héroïne française. En revanche, sa popularité ne décolle pas outre-Atlantique.
« J’ai deux amour s, mon pays et Paris », son tube de 1930, était une déclaration exagérément gentille pour sa terre natale… Dans les années 1950 encore, elle s’y fait refouler dans de nombreux hôtels et clubs, au nom de la ségrégation. Elle s’indigne publiquement, est accusée de sympathies communistes par J. Edgar Hoover, le sinistre patron du FBI et déclarée persona non grata.

Elle ne retournera aux États-Unis qu’en 1963, à la demande de Martin Luther King, pour participer à la marche pour les droits civiques, à Washington.
Elle fut la seule femme à s’y exprimer, dans son uniforme des Forces françaises libres bardé de médailles. « Le plus beau jour de [sa] vie. »

Elle la termine à Paris, après
un spectacle à Bobino. Laissant derrière elle les douze enfants de toutes nationalités adoptés avec son dernier mari, le chef d’orchestre Jo Bouillon, « pour prouver qu’il n’a qu’une seule race, la race humaine ».
Après la faillite de son domaine des Milandes en Dordogne, soutenue par Grace Kelly, Joséphine avait trouvé refuge en face de Monaco, avec sa « famille arc-en-ciel. » Son entrée au Panthéon se concrétisera par un cénotaphe. La petite Américaine qui avait traversé l’Atlantique « pour être libre de corps et d’esprit à Paris » repose pour toujours au cimetière marin de la principauté.