François Rannou, figure discrète de la Résistance Il a reçu, tardivement, la carte de combattant volontaire de la Résistance. Dès l'âge de 17 ans, l'enfant de Bannalec s'est engagé clandestinement durant la Seconde Guerre mondiale.
J'avais 17 ans en 1941. J'habitais avec mes parents et mes quatre soeurs à Saint-Jacques, quartier ouvrier de Bannalec. Là, j'ai vécu la Résistance de très près. Communistes et syndicalistes étaient dans le collimateur de Pétain. Mes parents en ont caché plusieurs à la maison. Moi, j'ai commencé à distribuer leurs tracts. J'en mettais sous la porte des bistrots fréquentés par les jeunes. Je revenais écouter leurs discussions. C'est comme ça que je savais sur qui je pouvais compter...
En 1942, nous avons caché un évadé du camp de Pithiviers (Loiret, N.D.L.R.) qui est ensuite parti organiser la Résistance en Alsace. En 1943, nous avons abrité des réfractaires STO (service du travail obligatoire) qui ont intégré le maquis. Je les y conduisais. Dans les quatre bois de Saint-Jacques, il était facile de se planquer.
Le dernier groupe que j'ai conduit à Keruchen, à Leuhan, près de Roudouallec, était composé de sept ou huit personnes. Le lendemain, les gars de l'état-major du maquis m'ont demandé de ne plus amener personne car il n'y avait plus assez d'armes à distribuer. Alors j'ai groupé mes gars de Bannalec. Et j'ai demandé à un instituteur et à un professeur de former une compagnie.
Nous étions la 3e compagnie du 3e bataillon de marche (compagnie Guy Môquet). Je n'avais jusqu'alors jamais eu d'arme entre les mains. En pleine nuit, entre le 14 et le 15 juillet 1944, un parachutage allié est réalisé sur le site de Kernabat, à Scaër. Dix-huit jeunes hommes seront tués, dont neuf du maquis de Scaër et neuf du maquis de Rosporden. Beaucoup plus, côté allemand.
« Ne pas mourir inconnu tout à fait »
Notre compagnie a aussi participé aux derniers combats de la presqu'île de Crozon. Elle a pris la direction de la pointe des Espagnols, où les troupes allemandes occupaient le système pensé par Vauban. Et nous sommes allés sur le front de Lorient. Nous avons été faits compagnie de garde des prisonniers. J'ai été sergent-chef. Puis démobilisé. En septembre 1945, j'étais un soldat de 2e classe qui retournait à la vie civile. Personnellement, je n'ai jamais tué d'Allemand mais j'ai aidé à la Libération.
Je fus comptable pour une entreprise vendant des matériaux de construction. Je gagnais, chaque mois, 7 000 francs de l'époque et on me payait ma chambre. Puis deux copains qui travaillaient à la gare de Rosporden m'ont invité à les rejoindre. Je suis entré à la Société des chemins de fer le 7 décembre 1946. Et j'ai demandé ma carte d'adhérent à la CGT. Je l'ai toujours. Je suis fidèle à mes couleurs. J'ai travaillé pendant treize ans à Rosporden, dix-neuf ans à Quimperlé, un an à Auray. Les premières années, je gagnais 3 500 francs par mois. De tout temps, la défense des travailleurs m'a paru nécessaire. Mon engagement a toujours été celui d'un ouvrier.
À l'âge de la retraite, j'ai demandé ma carte de combattant volontaire de la Résistance. Pas pour la médaille, car je n'aime pas ces distinctions honorifiques. Mais pour pouvoir le faire connaître à ma caisse de prévoyance. Parce que oui, j'ai oeuvré, comme d'autres, pour la Résistance. J'ai reçu ma carte en octobre 1979.
J'ai rarement témoigné. Récemment, mon entourage m'a reproché de n'avoir jamais écrit. J'ai 90 ans et j'ai la chance d'avoir encore une bonne mémoire. Je laisse ce récit pour ne pas mourir inconnu tout à fait. »
Angélique CLÉRET.
Source : Ouest-France du 10 février 2016
A gauche : François Rannou, avec sa médaille qui récompense ses 70 ans de fidélité à la CGT, début février François Rannou, 70 ans de fidélité à la CGT À 92 ans, le natif de Bannalec, résistant et retraité de la SNCF, a reçu, le 26 janvier, une médaille afin de récompenser ses soixante-dix ans de carte d'adhésion au syndicat.
Portrait
« Je viens d'une famille pauvre. Mes idées de gauche viennent de là », explique d'entrée François Rannou. À 92 ans, ce Bannalécois né à Saint-Jacques conserve une excellente mémoire des dates. « Nous étions cinq enfants. Mon père a été mutilé en septembre 1918 par un obus, dans les environs de Château-Thierry (Aisne). Ça lui a coupé le pied gauche, et découpé en 18 morceaux l'autre. Ça a forgé mon caractère. »
Dès l'âge de 12 ans, et l'arrivée des congés payés en 1936, le jeune François prend conscience de sa « condition. Ce moment a été une bouffée d'air. Nous nous sentions en infériorité, tous avec nos conditions d'ouvriers, près de la papeterie de l'usine Bolloré, à Scaër. Ça nous a regonflés», confie-t-il.
Recruteur de résistants
Les années passent, et à 18 ans, il sort de l'école « avec deux ans de retard », le brevet des collèges en poche.
L'adolescent part travailler chez un notaire de Bannalec.
« Je savais taper les actes à la machine, même si je servais de chauffeur aussi. » Chauffeur, il l'a été surtout à maintes reprises pour emmener des résistants accueillis chez des familles à Bannalec pour rejoindre « les taillis, le maquis. De 1941 à 1944, nous avons mis à l'abri les jeunes communistes que les gendarmes loupaient. J'ai aussi accueilli un gars qui avait participé à la guerre d'Espagne (1936-1939). Je recrutais des résistants dans les cafés. Je laissais des tracts sous les portes. Les gens se passaient le mot. J'écoutais, j'observais et je savais ainsi sur qui je pouvais compter. » François Rannou forme alors une compagnie à Saint-Jacques. « Je ne voulais pas prendre de galon, mais j'en étais le chef naturel. » Le résistant sait quand ses hommes partent faire dérailler les trains. Ironie de l'histoire, après son entrée à la SNCF à la fin de l'année 1946, il observe de près les lignes de chemin de fer être remises en état. Pendant treize années, il travaille à la gare de Rosporden, avant d'intégrer celle de Quimperlé pendant 19 ans, et de terminer sa carrière, principalement de guichetier, en gare d'Auray.
C'est à ce moment qu'il effectue sa première demande d'adhésion à la CGT. « Si je n'ai plus été encarté rapidement au Parti communiste, je suis en revanche toujours resté fidèle à mes idées, mes convictions d'homme de gauche. » Il reçoit sa première carte du syndicat le 1er janvier 1947, même si la demande avait été effectuée pendant l'année civile précédente.
C'est pourquoi, le 26 janvier dernier, la section CGT de Quimperlé, où il réside depuis 1960, lui a remis une médaille, pour ses 70 ans de fidélité et ses actions passées. « Je n'ai jamais couru après les honneurs », conclut celui qui encourage les jeunes « à s'engager, toujours ».