LES COMBATS DE KERNABAT
Chemin de la Résistance et des Maquis
Mis en ligne sur le site le 17 avril 2020/mise à jour le 17 août 2020
KERNABAT - ici furent exécutés les patriotes
Cérémonie de Kernabat 14 Juillet 2021 Allocution de l'ANACR
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs de la Gendarmerie, Sapeurs-Pompiers, Mesdames et Messieurs anciens résistants, descendants de résistants, Mesdames et Messieurs les porte-drapeaux,
Chers amis fidèles de la résistance et du devoir de mémoire,
Je suis mort. Mon combat est terminé. Je suis tombé ici, dans les champs de Kernabat, pas très loin en tout cas. Je suis tombé debout, en homme libre. Je suis tombé pour libérer le monde, mon pays, ma commune, mes amis, ma famille. Oh ma famille, comme je vous aime ! Comme votre soutien m'a été précieux ! Car la liberté n'est jamais acquise. Elle se conquiert, se défend avec sang et acharnement. Non, ma famille, mes amis, ma commune, mon pays, la liberté n'est pas un dû. Elle est une lutte perpétuelle face à la tyrannie, la barbarie, les soifs de soumission, de domination, d'extermination. Je suis mort pour elle. Je suis mort pour que vous vous en souveniez. Ceci est notre héritage aux futures générations.
Je me rappelle, à l'heure de le rejoindre, les mots du grand Jaurès prononcés avant la boucherie de la 1ere Guerre Mondiale. La Der des Ders comme disaient nos anciens... Tu parles ! Voici ce qu'il proclamait : « Toujours votre société violente et chaotique, même quand elle veut la paix, même quand elle est à l'état de l'apparent repos, porte en elle la guerre, comme la nuée dormante porte l'orage ». Lui aussi, ils l'ont tué. Lui aussi est mort pour une certaine idée de démocratie, de la paix, de la fraternité, et même de l'honneur de faire partie de la nation France. Tout cela me semblait si loin, si étranger, lorsque, môme, je jouais à la guerre avec les copains, dans ces champs qui nous entourent. C’était il n'y a pas si longtemps finalement. La guerre a fait de moi brutalement un homme, la résistance m'a donné un rôle dans l'histoire des Grands Hommes. Mais nous sommes si jeunes !
Je suis si fier de ce que nous avons accompli. Je suis heureux d'avoir combattu auprès de mes camarades : Marcel, Robert, Armand, Yves, François, Grégoire et les autres. Tous si jeunes, enthousiastes à l'idée de libérer le pays, responsables et conscients de leur rôle essentiel pour la victoire finale, épris de justice, prêts à tous les sacrifices...Mais tous si effrayés face à la monstruosité nazie, à la brutalité, aux représailles, à la souffrance de la torture, à la vie à la dure dans l'armée de l'ombre. Tous debout, remplis de vie, face à la mort.
Nous sommes unis, forts comme le poing vengeur des opprimés. Oh, on ne pense pas tous la même chose ! Il y a des gaullistes, des communistes, des paysans, des prolétaires, des commerçants et artisans... Y'en a même, on ne sait pas trop de quel bord ils sont. Mais nous sommes tous résistants. Nous avons tous le même objectif. Nous sommes liés par le programme du Conseil National de la Résistance (CNR) et le sacrifice de Jean Moulin. C'est notre union sacrée. Et c'est justement pour retrouver la démocratie et le droit de débattre des futurs possibles, que nous nous battons. Nous luttons pour la démocratie, pour notre devise : Liberté, Égalité, Fraternité. Jamais nous n'avons reconnu l'autorité du régime de Vichy.
Nous sommes unis jusque dans la mort. Entassés ici, au bord de ce talus. Pour la plupart, à l'exception de Pierre qui a beaucoup souffert sous la torture, nous avons été fauchés rapidement. Sans surprise. Le combat était perdu d'avance. Mais nous avons fait preuve de courage. Y avait-il en moi de l'humanité lorsque je tirais sur ces soldats allemands ? Et lui, celui qui m'a tué, portera-t-il ce fardeau jusqu'à ce que, lui aussi, trépasse ? Était-il un salaud ? Suis-je un héros ? L'histoire le dira. Vous me le direz, si nous nous revoyons un jour.
Pourtant, tout avait bien commencé. Un premier parachutage réussi dans le cadre de l'Opération Jedburgh dans la nuit du 9 au 10 juillet. Un commando et 16 tonnes de matériels, carabines, explosifs, et une radio sont larguées du ciel. La réception se passe bien, mais des échanges de coups de feu ont lieu avec une troupe de la Wehrmacht, probablement en route vers une permission... Notre maquis est repéré. Les guetteurs allemands sont aux aguets !
Ici, Radio Londres : « Les Français parlent aux Français ! Message personnel : Le Vent souffle dans les blés ». On capte ce message, hier, le 14 juillet 1944, vers 11 h 00, au PC installé à Guerveur. Il annonce un second parachutage de vivres et matériels pour le soir même sur le terrain « Pêche » à Miné Kervir. Le vent souffle dans les blés pour les maquisards de Scaër, Tourc'h, Coray, Rosporden et communes alentours. Il porte en lui les premières effluves des combats de la libération ! Car ce 14 juillet 1944, les échos du débarquement, des premières villes libérées, enthousiasment la France et les forces combattantes de l'Intérieur. Le maquis du Vercors proclame le rétablissement de la République, et l'abrogation des lois du régime de Vichy ! Dans de nombreuses villes et villages, on s'apprête à défier l'ennemi. Nous sommes prêts.
Démasqués par l'occupant allemand, nous sommes plus de 200 combattants mobilisés pour l'opération. Le balisage du terrain est en place et au début de la nuit du 15 juillet, vers 0 h 30, plus de 16 tonnes sont larguées à l'endroit indiqué puis acheminées vers le lieu de stockage à Kernabat. La mission est accomplie mais un millier de soldats allemands, dès l'aurore, ratissent les environ de Coadry. La bataille de Kernabat-Quillien est lancée avec un rapport de force que même le courage le plus absolu ne peut inverser. Nous sommes 18 jeunes hommes, âgés de 19 à 32 ans, tués.
Je veux croire que notre sacrifice ne sera pas vain. Je veux croire qu'il aura contraint l'ennemi à des pertes humaines et matérielles, à sa désorganisation, à accentuer sa débâcle, à favoriser l'arrivée des alliés débarqués quelques semaines plus tôt sur les plages de Normandie, à préparer la libération des communes environnantes. Je veux croire que l'avenir s'écrira dans notre souvenir, dans le respect de notre sacrifice et des valeurs humaines que nous avons si chèrement défendues au prix de nos vies. Je veux croire que nous ne sommes pas des héros, mais que nous avons accompli ce qui était juste. Je veux croire que nous sommes des hommes justes et que nos descendants, leurs familles, leurs amis, nos communes, notre pays, le monde, seront fiers de nous.
C'est pourquoi vous devez vous rassembler toujours plus nombreux, ici, chaque année. C'est pourquoi, ce que vous faites, est chaque fois plus indispensable que l'année précédente.
Que la mémoire des Résistants et de la Résistance vous enseigne la vigilance, la détermination, la volonté de paix et de fraternité pour continuer à avancer vers les idéaux de liberté et de démocratie de vos glorieux aînés. C'est le sens de mon message. C'est ainsi que nous reposerons en paix.
Je vous remercie pour votre attention et votre présence nombreuse à cette commémoration.
Photos des sites de KERNABAT et de QUILLIEN