Docteure Colette Brull-Ulmann
Chemin de la Résistance et des Maquis
Mis en ligne sur le site le 9 JUIN 2020 / mise à jour du 26 mai 2021
Colette Brull-Ulmann, à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), le 26 janvier 2018.
MARION KREMP/LE PARISIEN/MAXPPP
Avant-propos
Ce livre n'est pas un ouvrage d'historien.
Il est le récit d'une vie sur la base de mes souvenirs, très anciens.
Certains détails ont pu s'émousser avec le temps, mais l'essentiel est là : j'ai voulu raconter les miens, ce que j'ai vu, et surtout rendre hommage à la personnalité extraordinaire de Claire Heyman, moi, une petite main de son réseau, au nom de tous ceux qu'elle a sauvés.
]'ai voulu qu'on puisse se souvenir d'elle, que l'on sache ce qu'elle a fait, parce qu'elle a pris tous les risques pour l'essentiel : tendre la main aux enfants et les aimer.
Décembre 1942
Je n'ai qu'à fermer les yeux pour tout revoir.
Paris est plongé dans la nuit - pas seulement Paris, mais le monde entier, plongé dans la haine et dans la destruction. En tout cas, les passants sont peu nombreux à cette heure, et c'est tant mieux. Moins je croise de monde, moins je risque d'être repérée. ['ai décousu l'étoile sur mon manteau, pris les faux papiers qui me désignent sous le nom de Colette Mosnier, prétendument bretonne et catholique. Si je suis arrêtée, cela aggravera mon cas (et de beaucoup), mais je n'ai pas d'autre choix. Mieux vaut ne pas y penser.
Le cœur déjà battant, je descends la rue Santerre, longeant un mur qui forme le côté d'un grand quadrilatère. Derrière, on devine les toits de hauts bâtiments en brique. Une petite cour pavée s'ouvre plus loin, qui donne sur un porche d'entrée.
L'hôpital Rothschild.
Dans leur loge, un genre de loge de concierge, les deux flics de service me regardent passer. L'hôpital est gardé jour et nuit. À force, on se connaît tous. Un petit salut de la main. S'ils savaient que je suis venue sans mon étoile, et avec des faux papiers ! S'ils savaient que je ne vais pas ressortir par cette issue, l'issue officielle qu'ils surveillent, mais par la porte de la morgue ...
S'ils savaient ce que je suis venue faire ...
Je leur souris, profitant de la pénombre pour dissimuler ma poitrine sous l'écharpe, puis je m'éloigne, mes pas résonnant bruyamment sous le porche.
Mon cœur s'est accéléré, car je ne me fais aucune illusion : s'ils me surprennent, ils m'arrêteront. Ils me confieront certainement à d'autres policiers bien moins conciliants, peut-être même à la Gestapo, et je serai frappée pour qu'on me force à dire ce que je sais. Et même si j'en sais peu (car je ne suis qu'une petite main du réseau, une petite interne de vingt-deux ans), je parlerai sans doute. Je sais comment ils traitent leurs prisonniers : à l'hôpital, j'ai soigné un résistant passé dans les mains de la Gestapo. Il était couvert de bleus et d'ecchymoses, à moitié mort.