Bretonne mystère. Son petit-fils la reconnaît dans Le Télégramme
Relayé dans Le Télégramme le mois dernier, l'avis de recherche lancé par le Musée de la Résistance, à Saint-Marcel (Morbihan), a payé. La Bretonne en coiffe, portant une Croix de guerre épinglée par De Gaulle en 1947, s'appelait Marie Julienne Gautier, dite la mère Samson. Une très forte femme, sortie de l'oubli par son petit-fils qui se souvient du lourd tribut payé par sa grand-mère martyr.
« Je l’ai tout de suite reconnue en ouvrant Le Télégramme. J’ai appelé René, je lui ai dit, "Viens voir, y'a ta grand-mère dans le journal !" ». Attablée dans le séjour de son pavillon de l’Île de Groix (Morbihan), Monique Pichot, 85 ans printemps, raconte la surprise du 13 avril dernier. La veille, sur son site internet, et le matin même, dans son édition papier, Le Télégramme relaie l’avis de recherche lancé par le Musée de la Résistance, à Saint-Marcel (Morbihan).
Un appel à la mémoire entourant une photo en noir et blanc : celle d’une Bretonne mystère, en tenue traditionnelle, avec, à la poitrine, épinglée, une Croix de Guerre, ainsi que l’insigne de l’association nationale des familles de fusillés et massacrés de la résistance française.
Elle tenait à son nom !
Ce visage intense, grave, consigné de longues années dans les archives du Musée - qui malgré ses investigations ne parvenait pas à identifier l’inconnue - René Pichot, 86 ans, assis près de son épouse, ne saurait l’oublier. Et pour cause : il s’agit de son aïeule, Marie Julienne Gautier, dite la mère Samson. « Attention, il ne s’agissait pas de l’appeler autrement : elle s’était remariée et tenait à son nom ! », s’amuse Monique Pichot qui, avec son futur époux, gamin comme elle à l’époque, était en première ligne, le jour J. Celui du cliché.
C’est la dernière fois que j’ai vu ma grand-mère maternelle
C’était il y a quasi 71 ans, le 26 juillet 1947. Dans 24 heures, De Gaulle va symboliquement poser la première pierre du Musée de Saint-Marcel, devant quelque 40 000 personnes, sorties du maquis. En attendant, le Grand Charles vient à Plumelec, au nord de Vannes, saluer la mémoire des héros locaux de la Résistance. « Nous étions devant le Monument aux morts, près de la mairie. J’étais dans l’assemblée pour représenter la famille.
C’est la dernière fois que j’ai vu ma grand-mère maternelle ,» raconte René Pichot, caressant du regard ses archives familiales étalées sur la table. S’il n’a plus en tête l’allocution et les mots échangés avec De Gaulle, René Pichot, élevé par son autre grand-mère, se souvient très bien pourquoi la mère Samson, 69 ans sur le cliché, passait ainsi à la postérité. « Elle était décorée à titre posthume. Elle avait payé un lourd tribut », résume dans une économie de mots le grand témoin qui, aidé par sa fille Catherine, évoque la fin de l’Occupation, le poste radio planqué au grenier « sous les patates », et la disparition de « cinq membres de la famille ». Dont celle de Robert, le demi-frère de six ans son aîné… « Le sort de cette famille et de cette pauvre madame Samson nous replonge dans les heures sombres de l’Été 44 », confirme Tristan Leroy, conservateur du Musée de la Résistance.
Avec Christophe Guillouët, adjoint au patrimoine, le gardien de la mémoire a validé le sinistre inventaire. « Dans la débâcle allemande, cette femme a perdu, en l’espace de deux mois, son mari, Ernest, déporté pour faits de Résistance (il mourra à Dora quelques semaines avant la libération du camp).
Elle a perdu son plus jeune fils, Eugène Morizur, chef des FFI de Plumelec, présent aux combats de Saint-Marcel et compagnon de route du parachutiste SAS Pierre Marienne (il sera exécuté à Kérihuel, le 12 juillet 1944 et figure parmi les 18 victimes du tragique épilogue de la traque lancée dès le lendemain des combats de Saint-Marcel, par des soldats allemands, guidés et assistés par des Français au service de l’ennemi).
Marie-Julienne Samson perd également sa belle-fille, Armande Morizur, qui succombe après un effroyable supplice (elle sera pendue par les seins mais ne parlera pas, NDLR). Elle apprendra enfin l’exécution au fort de Penthièvre, en juillet 1944, de son petit-fils, Robert Pichot, et de son neveu, Jean Maréchal. Ils avaient à peine 20 ans »…
Elle faisait un peu peur
« Décédée en 1953, c’était une petite femme asthmatique énergique qui gérait en même temps son hôtel-restaurant-café, tout en s’occupant d’une affaire de taxis et de cars pendant que son second mari était bourrelier », explique la famille.
« Elle me faisait un peu peur », esquisse René Pichot qui, au bout du souvenir, se souvient d’une grand-mère courage contrainte d’aller reconnaître les dépouilles de son petit-fils et de son neveu, plusieurs mois après leur décès. Des yeux qui en avaient manifestement trop vu. Mais qui aujourd’hui et pour l’éternité ont une identité. On l’appelait la mère Samson…
Arnaud Morvan du journal LE TELEGRAMME